Michel Butor

(aout 2004 ) Poésie, peinture



Quelques extraits d’un entretien avec Michel Butor en 2004

voir aussi son site : http://perso.wanadoo.fr/michel.butor

Michel Butor a reçu le Prix Renaudot en 1957 pour La modification. Professeur à Nice, puis à Genève, aujourd’hui retraité, il vit dans un village de Haute Savoie où il se consacre à la poésie et à l’horticulture. .

 

C’est à la fin de vos études de philosophie que vous commencez à écrire en choisissant le roman pour dire votre approche du monde. C’est "Passage de Milan" en 1954 ; quelques publications plus tard, vous avez pensé que le roman n’était pas le meilleur moyen de faire valoir ce que vous vouliez dire.

Il m’est devenu difficile d’écrire des romans. C’est très précisément lors de mon premier séjour aux Etats-Unis où je me rendais pour enseigner en 1960. Parti là-bas avec un projet de roman, j’ai eu besoin de trouver un moyen de rendre compte de ce choc. J’ai écrit Mobile. qui s’est éloigné du roman.

Votre travail est dit "oeuvre protée". Ne faudrait-il pas dire plutôt que vous avez investi le roman avec votre goût du voyage, vos improvisations, avec vos matières de rêve – déjà de la poésie ?

J’ai beaucoup voyagé, d’une manière qui m’a obligé à m’installer un peu chaque fois, comme professeur ou conférencier. Chaque pays où j’ai vécu un peu longtemps a été pour moi comme une nouvelle patrie. Petit à petit je suis devenu un personnage cosmopolite, habité par toutes sortes de tensions. Mais c’est aussi les tensions que je ressentais qui m’ont amené à partir, à quitter Paris.

Vous avez un jugement sévère sur la littérature d’aujourd’hui. Pensez-vous qu’elle est en déclin ? Pensez-vous que nous avons du mal à comprendre la réalité surprenante dans laquelle nous sommes ?

Pour moi, la littérature est un moyen par excellence de nous retrouver dans cette réalité surprenante. Je trouve que le progrès des moyens de communication compliquent l’accès aux oeuvres vraiment remarquables. Je me réjouis qu’il se publie beaucoup plus de livres qu’avant, mais il nous faut nous libérer du bruit informationnel qui nous empêche d’aller à l’essentiel.

Si je tentais de trouver dans le paysage littéraire des poètes proches de Michel Butor, aurai-je raison de citer Jude Stefan et Francis Ponge ?

J’ai connu Francis Ponge et j’admire beaucoup ses écrits. J’ai aussi connu Jude Stefan qui faisait partie du Chemin, c’est-à-dire du groupe entourant Georges Lambrichs chez Gallimard.

Pour vous est-ce le rôle de la poésie d’accompagner les autres arts ? Vous-même avez accompagné des peintres, des sculpteurs, des graveurs, des musiciens, des photographes.

Chez moi, cela marche dans les deux sens. C’est un compagnonnage tout à fait naturel et absolument passionnant. Les peintres nous apprennent à voir. J’ai besoin qu’il y ait des peintres et j’ai besoin qu’il y ait des musiciens.

Venons en à "L’horticulteur itinérant". J’ai l’impression que vous avez depuis longtemps un intérêt pour la flore : je pense aux "Vergers d’enfance" avec Claire Dubreucq, à "Errance botanique" avec Catherine Erst, publié chez Slatkine. Il me semble que vous aimez aussi les figures qu’on compose comme un jardin à la française, mais la nature vous rappelle toujours quelque chose d’humain :

Les jardins sont des oeuvres d’art, donc sont autre chose qu’eux-mêmes. J’ai toujours aimé identifier les plantes sauvages en me promenant. Enfant, je faisais des herbiers après avoir admiré ceux de ma grand-mère. Mettre un nom sur une plante me la rend familière.

Le livre est construit comme une rose des vents avec l’hexagone français qui relie pour vous le pays basque, la Baie des Anges à Nice, un verger savoyard...

Ce sont les régions que je connais et qui ont provoqué chez moi des textes. Il y a un heptagone du monde,7pays particulièrement chéris. Tout cela est lié à des réflexions sur le rôle des chiffres dans notre culture et notre imagination. Comme chez Rabelais. dans L’Abbaye de Thélème tout va par 6, puis vers le Cinquième livre dans La dive bouteille tout va par 7. J’ai eu une difficulté avec 7 : 7 ce n’était pas assez, cela faisait une étoile très incomplète pour moi. J’avais envisagé de consacrer une des pointes de l’étoile à l’Egypte sur laquelle j’ai déjà beaucoup écrit depuis longtemps. Ce n’est que partie remise.

Vous avez été marqué par la poésie surréaliste. Comment ?

J’ai eu la chance de rencontrer André Breton en dehors du groupe. Nos relations étaient plus simples ainsi. Je craignais beaucoup les brouilles, les condamnations. Le surréalisme a eu une grande importance pour moi, d’abord à cause du sérieux avec lequel les surréalistes concevaient la littérature et la peinture, mais je m’en suis détaché. Par exemple, je n’ai jamais pratiqué l’écriture automatique ... Même mes poèmes sont souvent très programmés. Cela n’empêche pas que ce qui vient sur la page est toujours autre chose que ce que je m’imaginais auparavant.

Vous avez su joindre la construction à la tradition oulipienne (l’Oulipo "Ouvroir de littérature potentielle" conçu par Raymond Queneau ) ; ainsi vous vous donnez souvent des contraintes formelles qui vous permettent de jouer sur les mots et qui stimulent la production langagière dans le poème. Le poète que vous êtes aujourd’hui est plein de jeux sur la langue du romancier que vous étiez. Je lis dans " L’horticulteur itinérant"  :

Tout autour de moi

regards allumés

lecteurs affamés

dégageant les sources

filons et fumées

Odorante et vive

entre les pierrailles

j’étale mes lèvres

en dressant mon casque

pour te murmurer

botaniste en herbe

les secrets du vent

sortant des fissures

après son passage

au creux du torrent .

Je n’ai pas appartenu à l’Oulipo mais ce groupe m’avait demandé une fois de venir à leur réunion parce qu’ils sentaient des affinités entre mon travail et leur projet. Mais ce jour-là était le déclenchement de mai 68 et cette réunion ne s’est pas tenue. Pour moi, une contrainte c’est une obligation de s’arrêter, de ne pas laisser couler le robinet. Déjà dans mes romans, les contraintes formelles étaient considérables ; en ce sens ils s’approchaient de la poésie.

Vous avez un usage ironique de la prosodie. C’est comme disait La Fontaine, toute la manière dont la société est organisée, qui passe à travers la prosodie. La subvertir c’est donc subvertir la société.

Notre société fonctionne très mal. Pour changer cela, on peut choisir l’action, mais en général cela rate ! Je pense qu’il faut s’y prendre de plus loin. En travaillant sur le langage, on arrive à éliminer des régions de mensonge ou de cécité. Je suis heureux que vous citiez La Fontaine. Pour moi les deux plus grands poètes sont La Fontaine et Rimbaud. Il y a dans La Fontaine une extraordinaire vertu de renversement de la société de son temps.

Vous lui faites un clin d’œil quand vous donnez à un texte sur un zoo le titre "Les animaux malades de la poussière". Vous souvenez-vous de ce poète qui disait "Faire de la poésie, c’est tirer des salves d’avenir" ?

Pour moi c’est un peu trop violent ; il faut être plus subtil, plus discret. Tirer des salves attire l’attention des pouvoirs publics et amène leur réaction immédiate.