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...:::Ansible:::...

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Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

Publié le par Ansible
Publié dans : #Livres

On considère souvent le roman principal de John Ronald Reuel Tolkien comme une oeuvre simpliste, destinée aux adolescents, prônant la violence. On en a fait aussi une allégorie de la Seconde guerre mondiale. Pourtant, quasiment depuis sa parution en 1954-55, nombre de chercheurs se sont penchés sur l'intertexte, sur ce qui se cachait derrière cette épopée se déroulant dans une contrée imaginaire, cette oeuvre qu'on a dit fondatrice de la fantasy.
Isabelle Smadja, docteur en esthétique et agrégée de philosophie, également auteure d'un très remarqué Harry Potter, les raisons d'un succès (PUF, 2001), s'est penchée sur le phénomène, dans la foulée du regain d'intérêt dont bénéficie Le Seigneur des Anneaux depuis 2001. Et nous permet d'entrevoir de nouvelles facettes de cette oeuvre qui a été désignée comme roman du XXème siècle par les universitaires anglais. Pour Isabelle Smadja, cet ouvrage tient plus du mythe que du conte de fées, en ce sens qu'il utilise de nombreuses figures métaphoriques, plus que la plupart des contes.

Pourquoi parler de tentation du Mal ? Parce que dans le roman le Mal est au coeur de l'intrigue. Cet anneau dont Frodon se trouve porteur cristallise de nombreuses figures classiques du Mal. C'est un énorme fardeau, mais son pouvoir absolu fascine, autant qu'il ronge l'âme. Cette dimension est rendue avec une incroyable clarté dans les épisodes introspectifs où Frodon enfile l'Anneau. Mais un anneau, c'est aussi une représentation d'un monde clos, un monde où la folie peut surgir à tout moment, provoquée par une exposition trop prolongée au Mal. L'anneau porte en lui d'autres significations : c'est également une alliance, et Gandalf parle souvent de l'Anneau comme d'une femme coquette et capricieuse, illustrant en cela un glissement de sens assez fin. Un anneau c'est aussi un objet qui nous enchaîne, dans un cachot humide, à un mur aveugle, nous empêchant par là même de nous échapper. L'Anneau Unique est tout cela, un objet précieux (comme le dit Gollum), le véhicule et la personnification d'une union, et bien sûr une prison, en même temps qu'un monde clos. Isabelle Smadja continue ensuite son exposé sur le mode de la séduction, une séduction, qu'elle soit bienveillante ou malveillante, qui court sur tout le roman, par petites touches qui passent inaperçues.

La seconde partie de l'essai s'attache à analyser les racines du Mal, un Mal personnifié, je l'ai dit, par l'Anneau Unique que Frodon et ses compagnons doivent convoyer jusqu'à la Montagne du destin pour le détruire, mais aussi dans Sauron, celui qui l'a créé, celui qui en est le propriétaire légitime, quelque part, celui auquel l'Anneau est intimement lié. Il y a des choses très noires dans Le Seigneur des Anneaux. J’ai déjà parlé du pouvoir de l’Anneau, qui corrompt irrémédiablement l’âme de celui qui le porte. Mais une partie du roman est constituée par la description de combats, qu’il s’agisse de simples embuscades entre quelques aventuriers et des créatures maléfiques, mais aussi et surtout une gigantesque bataille près du Gouffre de Helm. C’est l’un des morceaux de bravoure de l’histoire, car la violence est très graphique, et de nombreux personnages y prennent part. On a longtemps reproché à Tolkien de faire l’apologie de la guerre, et de vouloir, au fil de son roman, réécrire le second conflit mondial. C’est mal connaître l’auteur, ancien combattant pendant la première guerre mondiale, qui a imaginé la Terre du Milieu au milieu des tranchées en France. Cela donna The Hobbit (Bilbo le Hobbit en VF). Cependant on remarquera l’ambivalence des sentiments de Tolkien au travers des paroles de Pippin, qui souhaite vivement que les combats prennent fin, mais qui en même temps admire la prestance guerrière d’un allié qu’il vient de croiser. Plus étonnant encore, l’espèce de jeu guerrier auquel se livrent Gimli et Legolas, à la fois amis et concurrents, au-delà de l’inimitié ancestrale de leurs peuples respectifs, les Nains et les Elfes. Tolkien pousse l’ambigüité jusqu’à placer la mort de Saroumane juste après une tirade contre la violence et la peine de mort.

 

 

Isabelle Smadja revient plus précisément sur la portée symbolique de l’Anneau, en analysant brièvement les interprétations philosophique, métaphysique, historique, politique, économique et technique de ce petit objet. Je ne vous ferai pas subir de nouvelles tirades sur ces analyses, mais sachez que j’ai trouvé ça assez complet comme diversité d’analyse, bien qu’un peu léger, superficiel par moment. L’occasion est bonne, toutefois, pour évoquer tout aussi brièvement l’un des thèmes récurrents de l’œuvre tolkienienne, à savoir les méfaits de la technologie face à la nature. L’Anneau est le fruit d’une technologie (la magie noire aussi bien que l’art de la forge ont présidé à sa fabrication), et se trouve être le Mal personnifié, à la fois séduisant (comme peut l’être le diable) et pervers. C’est là le cœur de l’essai, et peut-être en effet l’essence même de l’œuvre maîtresse de JRR Tolkien.

 

 

L’essayiste s’attaque ensuite à l’un des personnages les plus singuliers de l’univers du Seigneur des Anneaux : Gollum. Lui qui fut autrefois un Hobbit, fut gagné par la folie le jour où son cousin trouva par hasard l’Anneau au fond d’une rivière. Après avoir tué ledit cousin, il partit en exil, son esprit devenant irrémédiablement dément, et se réfugia au fond de la terre, là où on ne pourrait le voir. Finalement son corps subit lui aussi la dégénerescence qui s’était emparée de son âme. Tolkien insiste bien sur le côté vil, veule, et finalement « bas », de ce personnage hors du commun. Pour Isabelle Smadja, il personnifie l’homme d’en bas, tel que le définit Pierre Macherey. Ce philosophe a remarqué, dans un grand nombre d’œuvres des XIXème et XXème siècle, des concordances au niveau de cette figure, de ce type de personnage. Souvent souffrance physique, misère (au sens économique du terme) et gouffre obscur. Gollum est également à rapprocher de Caliban, un être difforme et à moitié humain, dans La tempête, de Shakespeare. Le destin de Gollum est de portée biblique ; son histoire commence par un drame, il est chassé par les siens, et il meurt de façon tragique, au sens shakespearien du terme. Gollum est une sorte de transposition du Caïn de la Bible.

 

La troisième partie aborde frontalement l’un des reproches faits à Tolkien : le racisme latent dans ses pages. En effet le peuple orque est décrit comme une race aux noirs desseins, au langage désagréable et à la peau noire. C’est comme si on définissait une race, entièrement malveillante. Un reproche que certains ont pu faire en leur temps, aux Juifs, par exemple. Mais au-delà de ces préoccupations vraiment inutiles à mon avis (à la lecture du Seigneur des Anneaux, je n’ai jamais ressenti de dégoût lorsqu’un orque apparaissait), ce qui compte réellement est le background de ce peuple, comme de tous les autres peuplant la Terre du Milieu. En effet Tolkien s’est attaché à développer une langue, une mythologie, une histoire, une géographie plus ou moins précises pour chacun d’entre eux. Afin de les faire exister, en quelque sorte, dans un cadre beaucoup plus grand que le roman où on nous en parle. Comme si on était dans un monde bien réel, avec ses lois, ses personnes, son histoire… C’est en cela, je pense, que l’on peut vraiment parler d’"univers" concernant l’œuvre de Tolkien. Enfin, l’essayiste relève les passages où notre auteur met le lecteur, par l’intermédiaire de ses personnages, en garde contre les dangers de la réflexion, préférant les impressions suggérées par l’intuition.

 

Le dernier chapitre parle de l’omniprésence masculine dans Le Seigneur des Anneaux. Pas une seule femme parmi les 9 qui composent la Compagnie qui part aider Frodon dans sa quête. Très peu de personnages féminins, au final, dans le roman. On peut citer Arwen, Eowyn, Galadriel et Baie-d’Or, mais toutes n’ont chacune, pour faire un parallèle avec le cinéma, qu’une scène à jouer. Un grand nombre d’éléments dans le récit montrent que l’on est dans une histoire de mâles, comme le tabac (auquel l’auteur, de façon un peu désarmante, consacre un chapitre entier au début de son roman ; si un jour vous tentez de lire Le Seigneur des Anneaux, passez outre ce passage, il ne sert vraiment à rien), ou l’omniprésence des combats. Il y a tellement peu de femmes que les mâles finissent par se frotter entre eux. L’homosexualité latente entre Frodon et Sam est montrée presque explicitement à plusieurs reprises. Le dévouement du jeune fermier pour son maître s’exprime dans des élans presque sexuels. Pourtant Tolkien n’est pas misogyne : il aimait infiniment son épouse, et met dans la voix d’Eowyn un discours bouleversant sur la libération des femmes (oui, bon, c’est la seconde scène d’Eowyn, ça). Mais là encore, le discours de l’auteur est ambigu, puisque la jeune femme devient, après avoir livré bataille au côté de ses amis, une femme soumise et dévouée, presque effacée.

 

En conclusion ? Le Seigneur des Anneaux est un roman fascinant, dont il est difficile d’analyser tout l’intertexte, mais qui permet de cristalliser un certain nombre de figures rhétoriques. Il donne à ses lecteurs leur content de scènes violentes, de combats, tout en développant une psychologie assez habile sur l’attirance du pouvoir et la séduction du Mal. Isabelle Smadja nous propose également des analyses sur certains personnages, mais je trouve ces analyses assez fragmentaires, incomplètes. La figure de Gandalf, qui domine tout de même tout le roman, n’est qu’effleurée. De même, et malgré la brillance de certains passages notamment concernant l’Anneau, je trouve qu’elle n’approfondit pas assez son propos, restant souvent dans le hors texte, prenant en exemple des écrits de Foucault, de Lévi-Strauss ou Paul Ricoeur, des penseurs certes très forts, mais dont l’association avec Tolkien me semble parfois incongrue. Ceci étant dit, c’est un essai qui est très bien écrit, et une bonne approche de l’œuvre de Tolkien.



                                                                                             Spooky.

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S
Sandrine > Méééééééééé !D'abord je ne me sens pas l'âme d'un chercheur, ensuite, euh je dois ranger mes BD :)
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S
Et ta thèse sur Tolkien, c'est pour quand ?
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