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3. Souvenirs de Pierre Soutrenon


JPEG Pierre Soutrenon (1er à gauche au 3eme rang) a fréquenté l’Arc En Ciel à partir des années 1930. Il nous fait partager ses souvenirs.

JPEG C’était une association d’éducation populaire masculine, animée par des prêtres, que j’ai fréquentée à partir de 1930. Elle avait eu, il me semble dans les années 1920 une section rugby. Elle se composait vers 1930 d’une section gymnastique pupilles et adultes, une section basket, une clique, un groupe théâtral et vers 1940 d’une chorale. C’était sur la ville d’UNIEUX l’unique association avec toutes ces activités. Il y avait, liée aux établissements Holtzer, une activité sportive (football), les scouts, une chorale, la sarbacane et sponsorisés par l’usine Verdier, foot et rugby. Si l’on ajoute à ces activités les jeux de boules (boule du coq à UNIEUX, dont le gérant était M GAGNAIRE, le grand père de J BASSET) et aux Planches le jeu de boules du « centre social », centre laïc (on devait y diffuser, il me semble, des idées de gauche teintées d’anticléricalisme), les jeux de boules de Sampicot. Avec plus tard une section de basket à l’amicale laïque, la clique de la Vigie Mouette, club de joutes sur la Loire, on avait fait le tour des associations sportives et musicales d’UNIEUX. Il fallait aller à FIRMINY pour trouver les associations ayant les mêmes activités que l’Arc en ciel et affiliées à la FSF : l’Avenir de St Firmin et l’Audacieuse du Mas ; La Fraternelle, à FIRMINY était le pendant sur le plan laïc. Ce n’est qu’après la guerre de 1940 que se développèrent stades et gymnases et que s’estompèrent dans la pratique du sport, comme de la musique, les différentes opinions philosophiques et religieuses. « Les muscles catholiques se produisent aujourd’hui aux cotés de tous les sportifs ».

La section gymnastique
- Le moniteur était Jacques DELORME, qui venait à pied de Sampicot au bourg d’UNIEUX. Il était toujours accompagné de quelques recrues qu’il avait faites dans le quartier plus à gauche que le bourg d’UNIEUX et du Vigneron. JPEGSa carrure, ses aptitudes à démontrer aux appareils, barres parallèles et barres fixes les mouvements, son sens du commandement en faisaient le moniteur incontesté. Il y avait aussi pour l’assister Paul BODIN. La section adultes, étoffée de gyms ayant la trentaine (j’avais 10 ans à l’époque) se produisait aux appareils dans les concours (BODIN, MARGERIT oncle et neveu, Joannès TRONCHET etc.…) Certains faisaient le grand soleil à la barre fixe ! Les pupilles étaient plus nombreux. Quand le temps le permettait, on faisait des exercices en plein air, footing, mouvements, respiration. Les exercices étaient dictés par les programmes des concours annuels : mouvements d’ensemble aux bâtonnets, exercices aux barres parallèles et barres fixes. Nous étions plusieurs du même âgé : Noël LAGARDE, Jean PERRONNET, Louis GIRAUDON, SAUNIER de Sampicot. Je n’étais pas le plus doué et aux appareils, il fallait souvent m’aider pour faire un rouleau sur les barres parallèles ou pour enjamber la barre fixe.JPEG Il avait fallu acheter le costume, culotte blanche avec élastique sous le pied, maillot de corps blanc, sautoir couleur arc en ciel sur lequel étaient épinglées les médailles des différents concours auxquels on participait, béret blanc avec écusson, ceinture de flanelle qu’on enroulait au niveau de la taille. Je retrouve sur ma licence de la FGSPF (fédération gymnastique et sportive des patronages de France) délivrée en juin 1934 les timbres de 1935 à 1938.

Le basket
- Le terrain de basket se trouvait près des locaux de l’Arc en ciel (vers l’école libre). Il n’était pas réglementaire et nous avions tapé dans le talus, en argile compact, pour l’agrandir … pics, pelles, brouettes, vive les pelles mécaniques. JPEGC’étaient les gyms adultes et pupilles grandissant qu’on retrouvait au pied des paniers. Ma licence date de 1934. Jean MARGERIT, le neveu était l’as du panier. Là non plus, je n’étais pas le plus efficace, mais il fallait bien compléter l’équipe. En 1936, en m’entraînant dans la salle de spectacle, au sol en béton, je m’étais cassé le coude gauche. Rebouteux du Pont de l’Hôpital, chirurgien, le docteur MICHEL, à FIRMINY, me fit un plâtre trop serré. CARROT, le cousin rebouteux des Mazaux près de RIOTORD ne parvint pas à me rétablir la rotation latérale du bras. Ainsi s’est achevée ma carrière sportive.

La clique
- C’était un élément indispensable d’expression publique de l’association. Quand les gymnastes défilaient, c’était au rythme de la clique. On retrouvait dans ses rangs des gyms bien sur.

JPEGLe moniteur clairon était Mathieu MOULIN et celui des tambours Pierre REYMONDON un cousin germain à ma mère. Vers 10, 11 ans j’étais tambour avec Pierre REYMONDON, l’apprentissage fut laborieux. Il nous épatait par ses roulements sans fin, ses baguettes jetées en l’air et rattrapées au vol pour faire un RAPATAFLAFLA. Son tambour lui appartenait. Il trouvait place chez ses parents au dessus de l’horloge. Mon tambour était prêté par la société. Après usage, il fallait soulager les peaux en desserrant les triangles de cuir qui tendaient les cordes autour de la caisse. Du fait que nous n’étions pas bien grands, nous n’étions pas très à l’aise pour défiler car baudrier et tambour étaient de dimensions adultes.

On avait appris les marches : la 1ère, la 2ème, la 3ème, la retraite aux flambeaux, aux champs, aux morts. Pour les concours qui se situaient en même temps que les fêtes de gymnastique, il y avait un morceau imposé, qu’on devait jouer devant le jury, pour reprendre avec les autres sociétés dans le rassemblement final. Répétitions, séparées des tambours, des clairons, puis ensemble, se succédaient à un rythme accéléré les jours avant le concours. Paul BODIN avait, signe de richesse, un tambour de musique, le seul de la clique. Le cuivre de la caisse était frotté au mirror et la tension des peaux se faisait par des tiges et écrous à oreilles. Je me souviens qu’à un concours, où fatigué à la fête de nuit qui se prolongeait, je m’étais assis sur un tambour. Il m’avait copieusement enguirlandé. Il arrivait que clique et gym défilent dans UNIEUX. Curé en soutane en tête avec le tambour major, Jean CALEYRON, rythmant la mesure avec sa canne à pommeaux. C’était plutôt rare, les kermesses étant une occasion pour cette sortie en ville. Je n’ai pas connu d’hostilité agressive à cette manifestation mais les anciens évoquaient souvent certaines bagarres avec les « laicards » parlant de clairons tordus et tambours crevés. Heureusement, l’esprit de tolérance a fait du chemin de tous cotés.

Le théâtre
- Qui n’avait pas, dans les maisons d’œuvres cléricales, sa troupe ? le Mas, qui chaque année jouait "la passion", St Firmin, à FIRMINY, qui fut animée autour de 1940 par la troupe BRAVAC comprenant quelques jocistes. L ‘Arc en ciel d’UNIEUX n’échappait pas à cette règle. Il y avait de vrais acteurs : les frères RIGAU venant avec Jacques DELORME de Sampicot, les frères SARDAT Jean et Marius, menuisiers au bourg, Mathieu MOULIN, Antoine TAMET métallurgiste chez Verdier, dans des rôles de comiques troupiers Paul BODIN, Benoît BRUN, troupe exclusivement masculine avec quelques interventions extérieures comme Benoît MARY dans la mère COTIVET.

Chaque spectacle avait une pièce dramatique en 2 ou 3 actes, un intermède comique d’un acte et parfois des saynètes par les pupilles de la gym préparés par Jacques DELORME. Les décors étaient réalisés par M. MEYNARD, au lever de rideau, tout le monde en attendait une nouveauté. M. MEYNARD grimait aussi les acteurs. Les pièces présentées étaient Charles de FOUCAULT, M. DOMINIQUE et bien d’autres que j’ai oubliées.

Je me souviens de saynètes dont je fus l’un des participants : LE PETIT CANARD où une noce était témoin d’un accident et on chantait : C’est un petit canard qui faisait COIN, COIN, COIN, Et par l’auto fut écrasé Si bien qu’à présent Etant trépassé Il ne fera plus COIN,COIN,COIN Ou d’une ronde de petits chinois qui chantaient : Ils s’avancent, Puis ils dansent Tin, tin, tin, tin, tin etc. Avec mes petits yeux, en amandes le grimeur n’avait pas avec moi beaucoup de travail.

Les costumes étaient parfois loués mais souvent étaient l’œuvre des femmes des artistes ou des artistes eux mêmes. Jacques DELORME excellait dans cette préparation. Il travaillait au laboratoire de l’aciérie Verdier, à proximité du parc à ferrailles. Pour un spectacle où figuraient des soldats romains, il avait confectionné casques, boucliers avec des tôles inoxydables destinées à la refusion. A coté des acteurs chevronnés, il fallait parfois des bouche trous. Je le fus dans une scène où j’étais censé être l’ami d’un jeune homme de 18 ans dont c’était l’anniversaire et dont le père était un violoniste éminent. Il fallait que je dise pour solliciter l’intervention du maître, avec ma voix qui n’avait pas encore mué (voyez le tableau) : « Jean, en l’honneur de tes 18 ans, ton père ne pourra rien te refuser, fais nous la grâce d’obtenir cette faveur… ». Pour la petite histoire, le maître ne jouait pas du violon, et dans les coulisses un violoniste, un vrai, jouait et le maître imitait au mieux les gestes. Le final des pièces à grand spectacle consistait à rassembler les acteurs sur le plateau dans « un tableau vivant » : chacun dans une position figée rappelant un passage de la pièce, scène éclairée par des feux de bengale de couleur. Vers 1940, les pièces de théâtre devinrent mixtes. La JOC donnait aussi des spectacles théatraux, aidée parfois par la troupe BRAVAC. J’ai eu dit à l’entracte un petit mot pour expliquer ce qu’était la JOC (naissante à UNIEUX). J’ai eu fait aussi le souffleur, prisonnier dans l’étroite cage au devant de la rampe.

L’organisation d’une pièce de théâtre demandait la préparation matérielle de la salle de spectacle qui était polyvalente (clique, gym). Au fond, de hauts bancs sans dossier accueillaient les gosses. Les bancs à dossier empilés au fond, étaient redéployés en milieu de salle pour les spectateurs. Et les premières, au pied de la scène, la salle était aménagée avec des chaises qu’on apportait de l’église du bourg après la dernière messe. Des tâches annexes étaient à remplir : impression des affiches annonçant le spectacle chez Banc, rue Verdier à FIRMINY, affiches tirées à plat et qu’il fallait manipuler délicatement, l’encre n’étant pas sèche, collage ou distribution des affiches chez les commerçants. Il ne fallait pas oublier la déclaration des œuvres produites pour payer les droits d’auteur, et fournir le relevé des recettes avec justification du nombre de billets à souches vendu. En général, le premier dimanche de représentation, la salle était comble. Le deuxième dimanche, par le judas placé sur le rideau de la scène, on regardait se remplir, parfois péniblement le théâtre. Mais la plupart des gosses étaient là une deuxième fois, et le plus difficile était de les ramener au silence, car il prédisait , et pour cause, ce qui allait se passer.

Les kermesses
- C’était un temps fort de la vie de l’Arc en ciel. Les pièces de théâtre procuraient quelques subsides. On misait sur la kermesse pour remplir la caisse, car il n’y avait pas de subvention municipale, ni de sponsoring et les participants aux diverses activités étaient de condition modeste.JPEG La collecte de lots chez les commerçants voyait arriver des objets les plus hétéroclites, pour certains invendables, pots de fleurs, statuettes tarabiscotées, vaisselle dépareillée, mais aussi des dons en marchandises (jambons, saucissons, lapins, vins et liqueurs). Il fallait étiqueter les lots, faire des enveloppes.

Il fallait aussi miser sur le beau temps car la plupart des stands était à l’extérieur. Il n’y avait pas de dirigisme outrancier des responsables, curés ou laïcs. Toutes les idées et bonnes volontés étaient prises en compte pourvu que chacun assume préparation et animation de son stand. Loterie, pèche à la ligne, pyramide de casseroles à démolir, jeu de boules carrées, jeu de biches ( biches alignées et suspendues à une corde qu’il fallait casser avec une perche, tout en ayant les yeux bandés). Il en tombait parfois un saucisson, mais aussi de l’eau ou de la farine. Les spectateurs s’amusaient souvent plus que les concurrents.

J’ai souvenance d’un stand « l’homme chauve souris ». Installé dans une baraque, un chauve qui avait rasé les quelques cheveux qui lui restait, souriait. Attiré par un bonimenteur, les badauds rassemblés par petits groupes découvraient la supercherie. On leur recommandait de ne rien dire à la sortie, mais en fin d’après midi, le tour était éventé. Il y avait aussi des démonstrations de gym et des concerts de la clique. La buvette tenait une grande place. On comptait sur la chaleur. Vin, limonade, coupe de mousseux pour les plus fortunés, vendus à des prix raisonnables constituaient une bonne partie de la recette. Comme je l’ai déjà indiqué, la kermesse était ouverte par un défilé de la clique et des gyms, parti du Pont du Sauze. Mais il ne drainait pas au delà des « bien pensants », milieu bien spécifique aux œuvres de l’époque. La foule » d’UNIEUX était aussi gonflée par la venue des sympathisants des paroisses voisines. C’était une politesse qu’on se rendait en ces circonstances. Je ne me souviens pas de l’année (c’était avant 1940) d’une kermesse exceptionnelle avec une chanson parole et musique de M. BRAYET, habitant de Sampicot dont quelques paroles me reviennent : Refrain : En ce jour plein de flots d’harmonie Qui doit couronner le réveil Et assurer la longue vie De notre vaillant Arc en ciel Petits gars, jeunes gens, demoiselles Jeunes mariés et vieilles mamans Faites tomber dans notre escarcelle Une pluie d’argent

Au joli bourg d’UNIEUX Au clocher si gracieux Egayez vous saine jeunesse L’Arc en ciel aujourd’hui Offre à tous ses amis Les attraits de sa belle kermesse …. ?JPEG

La guerre de 1940 stoppa toutes ces festivités et les défilés d’anciens combattants avec le béret bleu marine sur le coté sillonnèrent pour un temps les rues d’UNIEUX

Que retenir de ces œuvres paroissiales décriées quelques années plus tard ? C’était certes un milieu fermé, limité aux catholiques, mais le clan laïc l’était autant. Les cultures physique, artistique, « musicale » (il ne fallait pas connaître la musique pour jouer du tambour) n’étaient pas négligeables, d’autant que cet ensemble culturel n’avait, à l’époque rien de comparable dans sa diversité à UNIEUX, si ma mémoire est fidèle. L’ouverture sur l’extérieur se faisait un peu, concours de belote (auquel notre père participait), théâtre etc. Comment expliquer que ces milieux des adultes furent les premiers militants de la CFTC naissante : TAMET, Jean BAYON, Benoît BREAT, Joannès TRONCHET, Jacques DELORME et d’autres. Les encycliques RERUM NOVARUM (15 mai 1891) ou QUADRAGESIMO ANNO (15 mai 1931) sur la condition sociale avaient ils fait l’objet de cercles d’études ? La chanson de la kermesse évoquait dans un de ces couplets les abbés ROUX, FATISSON, GRATALOUP. Y avait il eu par eux des adeptes du SILLON qui avaient essaimé ? Le catholique social Marius GONIN (1873-1937) fondateur de la chronique Sociale avait il rayonné jusqu’à UNIEUX qui faisait partie à l’époque du diocèse de LYON ? Ou les militants chrétiens , « engagés », plus chez Verdier que chez Holtzer, avaient ils spontanément réagi à la totalitaire CGT de l’époque ? Le bouillonnement dans l’église sur « la question sociale » n’avait certainement pas oublié UNIEUX. Pourtant , quand vers 1938, l’abbé FOURNEL organisa des cercles d’études, nous orienta vers la JOC, qui existait dans les paroisses du Mas et de St Firmin à FIRMINY, nous faisant découvrir nos milieux matériels de vie - quartier, travail, loisirs - une incompréhension s’installa avec le milieu oh combien protecteur des œuvres. La guerre de 1940, l’évolution des mentalités, l’extension des formes et moyens de culture gommèrent les « ghettos » qui avaient pu exister.