vendredi 7 août 2009

Le Raz de Sein






Raz de Sein


« Qui voit Ouessant voit son sang, qui voit Molène voit sa peine, qui voit Sein voit sa fin. »


Cette année là, 1978, je navigue en Bretagne, au départ du Bassin d’Arcachon.

Je viens de quitter le mouillage de la Pie, dans l’archipel des Glénans, et fais route vers Brest. J’ai rendez-vous avec un de mes représentants à Porsmilin qui doit m’amener en voiture dans ma ville, pour assister à la fête locale, fonction de maire oblige.

Nous sommes trois à bord de l’Aloa, dont « Bibi », le fils d’un ami, âgé de 14 ans qui a l’habitude de naviguer avec ses parents.

Au milieu de la nuit, nous sommes, au large de Saint-Guénolé-Penmarc’h, en face du phare d’Eckmühl. A l’époque, pas de GPS ni de VHF, seulement les cartes, la règle CRAS, les compas dont celui pointe sèche, le Mini-Morin et la Radio-Gonio. Je passe mon temps à faire le point, tracer ma route, me référer sans cesse à l’annuaire des marées, à la carte des courants, à recaler l’estime, et patati et patata….Passionnant ! Et même si cette navigation d’antan n’est pas aussi précise que celle faite au GPS, l’important en définitive est d’être sûr de ne pas se trouver aux mauvais endroits !

Donc, pour aller à Brest, passage obligé : le Raz de Sein ! C’est un peu le Cap Horn français.

J’ai 10 ans pour mon premier contact avec lui. Nous visitons la Bretagne en famille. Nous choisissons un jour de tempête pour nous rendre à la Pointe du Raz. Je m’amuse à sauter à pieds joints, le vent me dépose un mètre plus loin.

Le Raz ? C’est comme si vous étiez assis sur la tête d’un Dinosaure et que vous lui regardiez l’échine et la queue : succession de rochers qui s’égrainent et s’éloignent en mer. Sur les deux plus au large, deux phares.

Courants, remous, brisants, tourbillons, déferlantes, gerbes d’eau, cascades, écume, mer blanche: Terrifiant ou grandiose ? Epoustouflant !

Et pourtant, on y pêche ! Les pêcheurs de l’île de Sein en premier, dans les déferlantes (voir et revoir Thalassa). Petits bateaux, gros moteurs et courage à toute épreuve.

Ils appartiennent à un autre monde. Tout petits déjà leurs premières paroles sont : «Attention tomber » avant même de balbutier « Papa Maman ». On ne leur apprend pas à nager mais à s’agripper ! Leurs premières bottes en caoutchouc ? On les entaille à l’arrière pour l’écoulement de l’eau : ils sont moins lourds à repêcher. Plus grands ils se les entaillent eux mêmes.

C’est aussi dans cet endroit mythique qu’est pêché le fameux « bar de ligne ». Il y a même un docteur d’Audierne qui le pêche en sous-marine, bon entraînement pour ses piqûres!

La première fois que j’ai franchi le Raz, c’était en 1976, et rien qu’à examiner la carte marine l’hiver au coin du feu, j’avais déjà franchement la trouille. J’avais donc demandé à mon ami Coat (Jacques Coatanea), marin breton chevronné, de m’accompagner et de m’assister pour cette première. Coat avait finalement accepté, non sans réticence.



Il est vrai qu’étant lui-même propriétaire d’un ketch de 13m GWENAIG tout en bon bois d’arbre, naviguer sur l’Aloa lui donnait l’impression de monter dans un « Tupperware » comme il se plaît à appeler mon bateau en plastique. Coat, je vous en reparlerai, c’est une masse qui vaut son pesant d’or, qui en impose et qui mérite le détour.

Nous nous retrouvons donc à l’époque, Coat et moi, en baie d’Audierne. C’est la première fois que je le vois petit-déjeuner : échalotes crues, bol de café noir suivi d’un verre de vin rouge (gros cul de préférence) ! Avec ça, « jamais de mal de mer » ! dit-il.

Nous sommes mouillés à côté du « Biniou » qui dessert entre autres l’île de Sein. Le commandant est un ami de Coat. Nous sommes priés à déjeuner à bord : homard, homard et rien que du homard ! (Pas plus de 4 jours par semaine, stipulent les conventions collectives). Inouï je vous dis ! Mystérieuse Bretagne, attachants Bretons…










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Revenons en face du phare d’Eckmühl.

Pas de vent, donc on bourrine. La navigation est fort simple, route directe vers le Raz.

J’écris au crayon marqueur sur le montant vertical du roof, le cap à suivre, à l’attention de mon jeune coéquipier à qui j’explique que dans 3 ou 4 heures, il apercevra des phares, plein de phares. A ce moment là, il faudra qu’il m’appelle pour que je prenne les choses en mains…J’aurai dû lui spécifier de m’avertir de tout fait nouveau : ça va sans dire, mais ça aurait été mieux en le disant !

Je vais me coucher dans la cabine avant, et m’incruste profondément dans mon sac de couchage que je zippe jusqu’au cou.

Je dors comme il n’est pas permis de dormir, d’un sommeil profond, à faire pâlir un ours mal léché.

Tout d’un coup, je suis réveillé par les cris effrayés du jeune barreur : « les rochers, les rochers ! »

Je ne sais pas comment, (car j’ai retrouvé le sac de couchage au milieu du carré, (je vous rappelle que je dormais profondément dans la cabine avant), mais je me retrouve dans le cockpit à côté de lui. Peut être une overdose d’adrénaline !

Vision quasi extraterrestre de la situation ! Brouillard à couper au couteau et, sur tribord, un énorme rocher noir qu’il vient juste d’éviter. Je ne sais pas où nous sommes. Dans ce cas, on fait, comme disent les Bretons « cap à l’azur » autrement dit, cap au large.

Nous sommes déjà cap à l’ouest, je persiste… et me retrouve devant un autre gros rocher. Je me pose toutes sortes de questions. Le moussaillon ne m’a pas prévenu en son temps de l’apparition du brouillard. A t’il fait une erreur de cap ? A t’on dérivé ? Ne me suis-je pas moi-même trompé dans mes calculs ?

Soudain, une sirène de bateau retentit, tout près, venant d’une direction indéfinie (cause brouillard). Ce bateau va nous rentrer dedans, c’est sûr !

Suis-je devant l’entrée du port d’Audierne sur le plateau de La Gamelle ?

Je mets cap au sud, j’accélère le moteur, Aloa ne va pas plus vite. J’ai dû perdre l’hélice ou plutôt, elle doit patiner, tourner en roue libre sur l’arbre, clavette cassée ?

Je ne suis pas au Raz de Sein quand même ! Le petit aurait vu les phares ! Il y en a plein à cet endroit : La Vieille, La Plate, Tevennec, Le Chat, celui de l’Ile de Sein et, par beau temps Armen !

J’envoie les voiles à tout hasard. D’après mes calculs, je dois arriver au Raz de Sein à l’étale de basse mer, pour le passer avec le courant de jusant. Re sirène du bateau …Mais pour qui sont ces sirènes qui sifflent sur nos têtes ? J’ai vraiment peur qu’on nous coule ! Bibi répond en soufflant de son mieux dans notre petite corne de brume en plastic rouge.

Le jour commence à se lever et, à travers une trouée dans le brouillard, j’aperçois enfin les feux d’un phare.

Je le compte 4 éclats, je vérifie, c’est le phare principal de l’Ile de Sein.

Son relèvement et le nombre de milles parcourus depuis le dernier point d’Eckmühl nous situent en plein dans le Raz. Alors, je devrais voir la Vieille et La Plate. Re sirène de bateau ! Mais que fait cet autre innocent au milieu de ces rochers ?

Une autre trouée dans le brouillard … ! Comme dans une apparition, je reconnais La Plate et La Vieille. C’est La Vieille et son gardien qui nous assourdissent de leur corne de brume.







Je viens d’embouquer le Raz de Sein et d’enfiler tous ses rochers d’est en ouest : Trouziard, Gorlégreiz, Ar Goent, Cornac La Ruina. Le Raz de Sein ? Je l’avais déjà passé de long en large. Et aujourd’hui ? En travers !


Ca va très vite maintenant, le courant nous propulse entre La Plate et La Vieille (heureusement que le courant passe de chaque côté des rochers, sinon ! …)








Je fais route à faible allure vers le port le plus proche : Morgat. Dès mon arrivée je plonge pour aller voir mon hélice. Elle est entièrement entourée de goémons longs et larges. J’ai dû les récolter lors du rase-cailloux involontaire. Ils font « déflecteur », rendant l’hélice inefficace quel que soit le régime moteur.

Sur le moment, je n’ai pas eu le temps d’avoir peur, mais j’ai pleuré les deux jours suivants. Dépression nerveuse, peut-être, ou carence d’adrénaline… Joyeuse fête locale !!!

« Mes chers concitoyens et iennes … »

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