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 Mon Cher Arnold, 

Nous avons perdu le contact depuis cinq ou six ans et il te paraîtra  singulier que je t’écrive pour te demander de publier cette lettre. En effet, la scène à laquelle j’ai assisté dans une rue très fréquentée de Tel Aviv, que je relate ici,  ne peut,   rester sous silence. Elle montre aux goyim dont je suis,   que les Juifs sont inclassables, ne serait-ce que par  la relation à leur terre qui s’inscrit dans un processus humaniste qui échappe à la notion de Patrie pour retrouver une dimension universelle.

C’est à la terrasse  d’un café à Tel Aviv que j’appris qu’on pouvait être « fier d’être Juif. »

Un groupe d’Israéliens, nouveaux immigrants  probablement,   était assis à la terrasse d’un café et se livraient à un tir de barrage sur la société israélienne. Amertume ? Déception ? Rien ni aucun domaine n’échappait à la critique : les enfants trop libres, les enseignants laxistes, le rôle  prépondérant de la TV, l’hôtellerie médiocre, etc… etc…Chacun y allait de son commentaire acerbe. Le goy que tu connais se tenait prêt à intervenir…lorsque je m’aperçus que la scène se déroulait sous le regard attentif d’un vieux monsieur qui n’en perdait pas une. J’étais venu pour faire une halte entre deux achats. Mais,  prévoyant l’affrontement, je décidai d’attendre.

Je n’attendis pas très longtemps. Le vieux Monsieur se leva, ajusta ses lunettes, respira à trois reprises en prenant à chaque fois le maximum d’oxygène, comme pour se préparer à l’affrontement. Et ce fut un combat et quel combat ! David et Goliath ? Plutôt un conte fée démythifié où la méchante soutient en permanence qu’on ne l’aime pas.

Il alla vers la table où étaient assis ces jeunes procureurs et lança d’une voix ferme et résolue :

«  Mon pays, votre pays n’a que 60 ans. Et pourtant il a dévoré jusqu’à notre âme et brûlé nos réserves » Il haletait, l’air semblait lui manquer. Une jeune femme lui tendit une chaise. Il fit « non » de la tête comme si ce qu’il avait à dire exigeait d’être debout. « Regardez votre pays avec des yeux Juifs, avec des yeux qui savent le prix qu’on a payé pour en arriver  là.  Voyez nos villes, regardez les efforts pour en faire des cités modernes. Vous, vous voyez le laxisme des enseignants. Mon père aurait été heureux de m’envoyer dans une école et puis…il se tut, devint très pâle et parla plus lentement et moins fort. Ses yeux s’emplirent de larmes. Il y a des êtres que la nature a dotés d’étranges pouvoirs. Il suffit qu’il parle pour que personne n’ose donner la réplique.

« Ah quoi bon. Si vous ne voyez que ce qui est à faire et pas ce qui a été fait.   Et pourtant, j’ai la certitude que nous sommes allés au bout de ce que l’homme peut faire. Pour cette terre, on n’a pas toujours mangé à notre faim. Chaque jour un camarade tombait. J’ai perdu deux  fils dans deux guerres. Mais j’étais à Tel Aviv le jour de l’Indépendance. Mes yeux ont vu le crématoire à Buchenvald, mais ils ont vu aussi le vieux lion monter les marches du musée de Tel Aviv pour y lire la Déclaration d’Indépendance ; c’est un moment fort dans la vie d’un Juif !

Et puis tout ce qui est sorti et sort encore. Nos médecins inventent des techniques révolutionnaires,  des remèdes qu’on vient nous acheter de très loin. Peut-être n’avons-nous aucun mérite et nous sommes seulement bénis parce que,  élus,  comme disent les religieux .Non, ce n’est pas possible, je radote. Parce que nous avons payé ce pays au prix fort, bien plus cher qu’il ne vaut. C’était ça ou le retour en Europe ! Alors on a mis tout ce qu’on pouvait avoir de réserve à être heureux et on l’a investi, sur…. » Il hésitait : « vous !  On a construit pour ceux qui viendraient, rien pour nous. » L’émotion était insoutenable, la honte aussi !

 « Monsieur » lança la fille qui avait tendu la chaise. On est là pour six mois, après on verra. » « Mais c’est tout vu, non ? Si on est juif, on ne fait pas de tourisme ici, on a des projets ou… des regrets. »

Deux garçons parmi les plus virulents baissèrent la tête. Brusquement avec un regard plein d’une fierté naïve, un des deux jeta à la figure du vieillard : « j’ai entendu souvent ‘’être fier d’être juif’ ’mais je ne sais pas ce que ça veut dire ! »  Le vieux semblait heureux qu’on lui tende la perche

« Une fois, dans le désert, quand j’étais soldat, j’ai mangé des herbes, qu’un bédouin venait d’arracher. Il nous avait dit que c’était bon pour la soif.  Ce pays n’est viable que pour des fous de la vie. Être fier d’être Juif, c’est aimer la vie au point de manger des …herbes arrachées.  Rappelez-vous,  des herbes ! »

Et, brusquement, il obliqua vers la droite, après avoir pointé un doigt menaçant en notre direction mais empreint d’une ineffable douceur et avoir lancé dans une voix brisée : « On ne reçoit que ce qu’on donne. » Puis il disparut dans la foule. Un silence lourd succéda. Puis le groupe se dirigea vers le centre.  J’ai pu entendre seulement la fille à la chaise murmurer dans un rire coupé par les sanglots : « Quelle leçon, quelle leçon ! »

Mon cher Arnold, c’est parce que ce texte simple mais percutant comme tout ce qui est simple confirme que les Juifs sont un peuple à part, que je te remercie de tes efforts pour le publier en  souvenir de l’amitié nouée dans cette célèbre école qui donna tant de grands hommes à la France et au monde, mais dont je tais le nom car je ne pense pas en avoir le droit.

Bien amicale poignée de main.

                                                                              Georges Lucien de la Motte Battignes

3 Réponses à “UNE LETTRE BIEN SINGULIERE.”

  1. fasquel dit :

    QUAND LA PURETE DU COEUR PARLE C’EST COMME , UN GLAIVE DE BON SENS , A LA FOIS RASSURANT ET BIENVEILLANT.

    MERCI MONSIEUR

    • Je n’imagine pas qu’on puisse écrire sans la conscience pour support. Merci de votre appréciation dont la sincérité de la forme et la noblesse du fond témoignent en faveur de votre amitié.
      Chalom bien cordial

  2. Arnold Lagémi dit :

    Merci pour votre témoignage, sa finesse, sa délicatesse et son audacieuse bienveillance.

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