MALRAUX ET LES ARTISTES



Toute grande œuvre figurative se réfère à ce qu’elle figure ”, elle “ devient œuvre d’art par ce qui l’en sépare ”. Ce qui l’en sépare, c’est-à-dire “ la transfiguration par laquelle l’artiste se réapproprie le visible en le recréant, et non en cherchant à le reproduire fidèlement ”.

L’artiste ne justifie pas l’univers : il le recrée, le métamorphose ou le transfigure, et l’œuvre d’art est, le plus souvent, l’expression ou le dépassement d’une angoisse née de la situation de l’artiste dans cet univers.

Dans ses écrits, Malraux célèbre des artistes fidèles à cet axiome :




VERMEER:


“ Pourtant l’art moderne ne commence pas encore. Car la transformation du monde en peinture, loin d’être proclamée, a chez Vermeer comme chez le Velasquez des Menines, le caractère d’un secret. Le réel n’est pas subordonné à la peinture qui, elle, semble subordonnée au réel – et semble encore chercher une qualité qui ne soit pas esclave de l’apparence mais ne s’oppose pas elle, - qui l’équilibre ”.


“  Il y a dans Vermeer un visage d’homme presque aussi constant que celui de cette femme: celui du tableau de Windsor, aujourd’hui à Buckingham, de l’Astronome, du Géographe.[…] Une ressemblance qui ne peut pas être fortuite, unit maints personnages de Vermeer.


Nous découvrons non sans surprise, que toutes œuvres mineures de Vermeer sont des commandes. Peut-être n’est-ce pas par hasard si, en un siècle où le portrait était roi, l’un des plus grands précurseurs de l’art moderne perdit une part de son génie, non par déchéance, hasard, ni maladie, mais chaque fois qu’il ne prit pas un des siens pour modèle; les siens lui appartenaient humainement et artistiquement. Sujets, non modèles : moyens de peinture.


Peu à peu Catherine Vermeer s’idéalise dans la Dame de la collection Beit, vieillit dans la Dentellière, disparaît en même temps qu’apparaissent ses filles et que dans l’art de Vermeer, le pressentiment du XXe siècle succède aux lois du XVIIe; le passage mortel du temps sur les visages révèle l’orientation de l’œuvre, comme la végétation du désert révèle le cours des rivières souterraines ”.




(Malraux, Les Voix du Silence)







GOYA :


L’art moderne est sans doute né le jour où l’idée d’art et celle de beauté se sont trouvées disjointes. Par Goya, peut-être…”


“Nul génie ne semble plus spontané que le sien. Il inventera ensemble ses rêves et sa réalité, son style, et jusqu’à cette brisure de la coulée du pinceau à quoi son écriture se reconnaît du premier coup d’œil. Et l’on rêve, qu’il lui ait fallu atteindre quarante ans pour devenir Goya…”



“Pour que son génie lui apparaisse, il faut qu’il ose cesser de plaire. Séparé de tous par la surdité, il découvre la vulnérabilité du spectateur, il apprend que le peintre peut ne lutter qu’avec lui-même pour devenir, plus ou moins tôt, vainqueur de tous.”



“Son destin hanté est un destin impérieux, et toute cette Cour qui fut emplie de son nom resplendit pour nous de son soleil noir. Mais il ne sait pas dans quelle mesure il a droit à ses fantômes. Et moins encore dans quelle mesure ses fantômes ont droit à l’art. Il attendra vingt ans avant de leur donner, en peinture, leur accent tyrannique. Sans doute entend-il imposer son univers, mais en le justifiant : après tout, les fous et le carnaval existent. Le fantastique, en peinture, faisait partie d’un domaine mineur; terrible ou atroce, il eût fait partie du domaine interdit. Cette interdiction, Goya ne peut la lever qu’en tentant de détruire par son art, non celui du réel, mais celui de ce qu’on appelair alors l’idéal.”





(Malraux, Saturne, le destin, l’art et Goya)



Saturno devorando a un hijo

FAUTRIER :



“ Une révolution moins importante, mais singulière se produit en ce XXe siècle : de même que nous ne parvenons plus à regarder une œuvre, quoi que nous en disions, en la délivrant de l’histoire, de même commençons-nous à regarder certains tableaux en fonction de l’histoire artistique de leur auteur. Picasso n’a pas pour rien substitué des dates aux titres de ses tableaux. “  Les écrivains écriront désormais leurs œuvres complètes… ”, disait Goethe ; les peintres commencent à peindre leurs œuvres complètes. Et si chaque Otage est un tableau, la signification des Otages, dans toute sa force, est inséparable de cette salle où vous les regardez réunis, où ils sont à la fois les damnés d’un enfer cohérent, et des instants d’une évolution traquée.




Otage



De combien de peintres de la génération de Fautrier pouvons-nous dire aujourd’hui qu’ils ne doivent rien à personne ? Voici un peintre que d’importants écarts depuis vingt ans ramènent toujours au tragique, - en le représentant toujours moins, en l’exprimant toujours davantage. Un peintre qui a pour adversaires beaucoup de peintres, pour admirateurs la plupart des poètes ; Mais un art – téméraire, inégal – d’une solitude exemplaire. Et la première tentative pour décharner la douleur contemporaine jusqu’à trouver ses idéogrammes pathétiques, - jusqu’à la faire pénétrer de force, dès aujourd’hui dans le monde de l’éternel ”.




ROUAULT :



“ L’homme dont la mort – consciemment ou non – oriente la pensée, n’est nullement une sorte de désespéré. La mort donne à la vie une couleur particulière – ce qui suffit ; elle ne tend pas à la lamentation mais à l’absurde. Je suis sûr qu’elle obsède M. Rouault de la façon la plus menaçante ”. (Notes sur l’expression tragique en peinture)



“ L’art de Rouault ne s’exprime pas en fonction du mot beau mais du mot être ”


















“ Il n’y a ni juges, ni filles, ni clowns de Rouault hors de ses toiles, comme il n’y eut jamais de personnages de Grünewald ”.



BRAQUE

PICASSO



Nu

“ En nous révélant, avec une puissance contagieuse, la liberté de la peinture, Braque et ses amis de 1910 nous révélaient aussi tout l’art du passé rebelle à l’illusion depuis notre peinture romane jusqu’au fond des siècles. ” (Malraux, Le Miroir des Limbes)




En 1952, Malraux appuie le directeur du Louvre, Georges Salles, qui souhaite moderniser le décor de la salle des Etrusques du Louvre en faisant appel à Braque. Le peintre choisit d’inscrire, au centre des caissons du plafond, de grands oiseaux bleus ou noirs, cernés de blanc sur un fond noir.


Les demoiselles d’Avignon


“ Il y a une part de l’honneur de la France qui s’appelle Braque – parce que l’honneur d’un pays est fait aussi de ce qu’il donne au monde. ” (Oraison funèbre, Sept.1963)


Oiseau et son nid






CHAGALL :


“ Son monde imaginaire (monde allusif, car Chagall n’entend jamais apporter un univers réellement onirique, à la façon, disons, de Jérôme Bosch) naît souvent d’éléments plastiques : le couple ne devient pas arabesque, l’arabesque devient couple. Il y a bien chez Chagall une constante de l’imaginaire, depuis les Juifs de Vitebsk jusqu’aux grands tableaux d’aujourd’hui ; je crois pourtant que cet imaginaire appartient moins au pittoresque, qu’à ce qu’il appelle l’Amour ”. (Hommage à Marc Chagall)









“ Ce qui définit un peintre de génie, c’est souvent d’échapper à la couleur de son temps. Où est la rupture des tableaux les plus saisissants (et souvent les plus récents) de Chagall avec leurs prédécesseurs illustres ? Avant tout, en ce qu’il oppose, à une harmonie, une dissonance parente de celle de la musique moderne ”. (Hommage à Marc Chagall)






CONCLUSION


S’il n’est pas historien de l’art, Malraux entretient pourtant une relation profonde avec l’histoire. En 1947, il écrit le Musée Imaginaire dans lequel se trouvent les œuvres les plus inattendues et variées qui dialoguent avec les œuvres les plus illustres et les plus nobles de la culture européenne. “ A toutes les œuvres d’art qu’il élit, le Musée Imaginaire apporte, sinon l’éternité que leur demandaient les sculpteurs de Sumer ou de Babylone, l’immortalité que leur demandaient Phidias et Michel-Ange, du moins une énigmatique délivrance du temps. Et s’il suscite un Louvre envahi et non déserté, c’est que le vrai Musée est la présence, dans la vie, de ce qui devrait appartenir à la mort ”.(A.Malraux, Le Musée Imaginaire.)




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