TROUBLES CHEZ L'ENFANT


Particularités psychosomatiques chez l'enfant

Notations cliniques





















PARTICULARITES PSYCHOSOMATIQUES CHEZ L'ENFANT


Depuis le travail de M.Fain, M.Soulé et L.Kreisler sur "L'enfant et son corps", on range généralement en France toute une série de troubles sous l'étiquette psychosomatique.

Cette classification peut bien sûr être discutée mais c'est celle qui prévaut actuellement dans notre pays.
Comme on le voit, même l'acceptation restreinte du concept de pathologie psychosomatique laisse la place à une très grande diversité de troubles, et de plus, nombre d'entre eux -si ce n'est la plupart- peuvent s'intégrer dans des modes de fonctionnement non psychosomatiques au sein desquels leur signification et leur dynamique seront à analyser très différemment.
C'est en effet le propre et la noblesse de la psychopathologie infantile que d'imposer une approche qui parte du symptôme observable pour tenter de spécifier la structure psychique sous-jacente dans le cadre d'une démarche particulière à chaque situation et à chaque histoire.

Chez le bébé, le sommeil et l'alimentation sont les deux grands domaines de l'expression psychosomatique.
Il il est impossible en ce qui concerne le bébé et le jeune enfant de les considérer hors situation relationnelle et du fait de leur indifférenciation psychique relative (intra et extrapsychique), il est absolument nécessaire de se référer à une métapsychologie de la dyade et de la triade.

P.Marty distingue chez le bébé la "mosaïque première", le rythme, la réactivité et le style des décharges qui sont en quelque sorte constitutifs mais qui entrent en résonance d'emblée avec les caractéristiques actuelles de l'économie psychosomatique de l'environnement et tout particulièrement celle de la mère.

Un travail d'ajustement doit alors s'effectuer entre la mère et l'enfant et peut s'avérer difficile voire impossible, que le bébé soit intrinsèquement trop différent de ce que la mère attend ou qu'elle soit elle-même dans l'incapacité de s'adapter à lui (dépression maternelle par exemple).

Dans tous les cas, la fonction maternelle ne pourra assurer à l'enfant un système pare-excitation convenable (du fait notamment d'une insuffisance de la "capacité de rêverie maternelle" décrite par W.R. Bion), d'où un déséquilibre chez l'enfant de ses deux grands groupes pulsionnels (pulsions de vie et pulsions de mort) et une entrave à son accès à la position passive.
La gêne ainsi apportée aux processus d'intrication pulsionnelle et aux différents mécanismes d'érotisation laisse l'enfant à nu face au risque de désorganisation psychosomatique du fait de l'insuffisance de ses capacités de liaison.

Il reste cependant que le mécanisme du choix de l'organe ou de la fonction-cibles demeure fort mystérieux et qu'il faut probablement raisonner ici en fonction de ce que ces cibles symptomatiques représentent au sein de la dynamique inconsciente parentale, dynamique qui s'exprime dans le comportement interactif au travers des phénomènes décrits par D.N. Stern sous le terme d'accordage ou de désaccordage affectif.
On sent bien comment dans toutes ces situations, c'est la capacité d'interprétation parentale qui fait défaut et qui amène l'enfant à introjecter une fonction préconsciente défaillante ou inefficace, puisque altérée chez la mère.

Rappelons enfin les travaux de D.W. Winnicott qui décrivait des mères "dangereuses sorcières", c'est-à-dire des mères qui, décodant trop bien les signaux émis par l'enfant, les satisfont trop vite en écrasant le temps d'attente, délai nécessaire à la satisfaction pour que les besoins puissent s'élaborer en désirs (primarisation).
C'est en effet dans ce temps d'attente particulier à chaque dyade que s'enracine l'émergence des processus de pensée (hallucination primitive) grâce aux capacités de surséance (du verbe : surseoir) et de figuration, selon les termes de D. Marcelli.
Ces mères dites "dangereuses sorcières" induiraient tout particulièrement chez le bébé un fonctionnement de type psychosomatique de même que certaines mères déprimées par le biais d'une carence maternelle qualitative qui fait courir au bébé le risque de se déprimer lui-même (la dépression, on le sait, menaçant par essence l'organisation psychosomatique de l'enfant).


D'une manière générale, on doit s'efforcer de ne pas confondre le sens et la fonction d'un trouble, ce qui permet de différencier le champ psychosomatique d'autres situations interactives.
Très schématiquement on peut dire que le trouble psychosomatique n'a ni sens ni fonction interactive en soi.
Il s'agit plutôt d'une désorganisation des équilibres pulsionnels de l'enfant dans les circonstances que nous avons vues avec accrochage à des sensations corporelles en mal de mentalisation.

En revanche, les symptômes divers qu'un bébé peut déployer pour tenter de guérir sa mère de sa dépression (enfant-thérapeute) n'ont pas non plus de sens a priori, mais ils ont une fonction interactive, bien précise, initialement tout au moins, même si secondairement ils peuvent se fixer et tourner à vide en se "psychosomatisant".

Quant aux interactions dyadiques conflictuelles habituelles, elles possèdent et un sens et une fonction, ce que B.Cramer a bien décrit au travers de ce qu'il appelle les phénomènes de "matérialisation" corporelle ou comportementale par l'enfant des conflits intra-psychiques maternels.
Le bébé a en effet une grande capacité de matérialisation qui fait partie intégrante de ses compétences.

Toutes ces situations renvoient finalement à un échec ou à une défaillance plus ou moins intense de la fonction maternelle de pare-excitation à l'égard du jeune enfant qui apparaît ainsi comme le mécanisme-clef de ce vaste registre psychopathologique.







NOTATIONS CLINIQUES


Deux constatations s'imposent :
Tout d'abord, il existe à l'évidence un certain nombre d'enfants qui présentent des troubles qui d'un point de vue descriptif pourraient être taxés de psychosomatiques, mais qui ne présentent pourtant aucunement un fonctionnement psychique de type opératoire ou psychosomatique.
Nous avons nous-mêmes étudié dans cette perspective la question du retard de croissance psycho-affectif et montré que la grande majorité des enfants atteints se situaient sur un pôle névrotique de fonctionnement, quelques uns sur un pôle dysharmonique ou limite et un tout petit nombre seulement sur un pôle psychosomatique au sens strict.
En revanche, la plupart d'entre eux montraient d'indéniables éléments dépressifs et ceci avec de grandes difficultés de verbalisation (objectivables par les méthodes psychométriques) ce qui va dans le sens de ce que nous disions plus haut quant à l'implication du système préconscient dans le déterminisme du fonctionnement psychosomatique.

Deuxième constatation, il est actuellement difficile de dire si les modalités de fonctionnement psychosomatique ont tendance ou non à se maintenir tout au long de l'existence quand elles se sont mises en place précocement.
Nous manquons encore d'études longitudinales rigoureuses en la matière mais de toute manière, l'histoire naturelle de toute psychopathologie ne peut être dissociée de l'histoire relationnelle du sujet.
En l'occurrence, on peut penser que les rencontres que fera ou ne fera pas le sujet psychosomatique, et parmi celles-ci les éventuelles rencontres psychothérapeutiques, pourront selon les cas l'aider ou au contraire le gêner dans le processus de sémantisation ou de névrotisation de ses troubles de départ.


La personnalité psychosomatique existe-t-elle vraiment chez l'enfant?

Nous aurions plutôt tendance à penser qu'il peut y avoir des "îlots", des secteurs de fonctionnement psychosomatique (comme on parle maintenant avec F.Tustin, d'"ilôts autistiques" de la personnalité) à côté desquels peuvent être préservées des modalités de fonctionnement tout à fait différentes, névrotiques par exemple.

Ceci nous inspire deux types de réflexion :

1) Tout d'abord, il apparaît souvent que les sujets dits psychosomatiques (les enfants surtout) sont des personnes qui ont du mal à fantasmer et à associer à propos de leurs symptômes mais qui peuvent fort bien conserver une très bonne capacité d'insight dès qu'on aborde avec eux d'autres domaines de réflexion.

Peut-être faut-il ici se rattacher à l'hypothèse évoquée au début de ce chapitre selon laquelle les symptômes psychosomatiques se fondent sur des fantasmes archaïques, fragmentaires et qui par leur force sidèrent en ce qui les concerne - mais en ce qui les concerne seulement- l'activité du système préconscient en s'avérant ainsi indicibles et inélaborables par impossibilité de couplage des RC aux RM (fût-ce aux RM de la mère pour l'in-fans).

L'anorexie mentale de l'adolescence offre un bon exemple de réflexion à ce propos. On considère actuellement que cette grave pathologie n'appartient pas à une lignée nosographique spécifique (même si elle renvoie à une structure particulière du fonctionnement psychique) mais que chaque cas va être infiltré de manière spécifique et selon un dosage qui lui est propre d'éléments psychopathologiques divers (hystériques, obsessionnels, phobiques, psychotiques, pervers...).


Mais ce qui apparaît nettement, c'est qu'à propos du symptôme lui-même, si massivement incarné et exhibé, les capacités d'élaboration verbale se trouvent singulièrement réduites, et ce n'est qu'au prix d'un travail psychothérapeutique profond et prolongé qu'une bascule pourra un jour s'opérer de la métaphorisation corporelle à la symbolisation verbale.


2) Ces "îlots" psychosomatiques, un peu à l'instar de ce qui a été dit pour les "îlots autistiques" fonctionneraient comme des enclaves psychiques non historicisées et non intégrées dans la dynamique de l'après-coup du temps psychique névrotique.
Et c'est probablement ce manque d'inscription dans l'histoire relationnelle du sujet qui en fait des productions psychopathologiques se situant à la limite de la psychisation mais non primarisées et non névrotisées. Leur expression corporelle prévalante en fait des organisations à valeur d'indice et c'est seulement de l'autre -parent ou thérapeute- qu'ils pourront progressivement et difficultueusement acquérir une éventuelle valeur de signe.


3) Pour notre part, dans cette perspective, nous avons essayé de réfléchir de façon comparée à la question du regard d'autrui dans le cadre de l'anorexie mentale de l'adolescence et du retard de croissance idiopathique de l'enfant, deux pathologies dites psychosomatiques mais qui engagent très différemment la relation à l'autre.

L'anorexie provoque le regard d'autrui en le fascinant sur les enveloppes corporelles pour mieux empêcher son intrusion au-dedans. Le retard de croissance suscite la quête par le regard d'autrui. Mais dans un cas comme dans l'autre il s'agit en quelque sorte d'une sémiotisation surajoutée qui ne rend pas compte, nous semble-t-il, de la genèse des difficultés premières. On sait cependant qu'une grande partie du travail de la cure est de s'intéresser aux significations secondaires des troubles et à leur reprise au sein des divers après-coup successifs.
Cet aspect de l'élaboration l'emporte souvent sur la question de l'isolement des causes premières et le psychanalyste rejoint là probablement -pour la reprendre ou y suppléer- la capacité d'interprétation parentale si importante, nous l'avons dit, pour enclencher la primarisation des éprouvés primordiaux de l'enfant (illusions anticipatrices et anticipations créatives).


Certaines évolutions cliniques posent encore d'autres problèmes. On sait par exemple que certains enfants qui présentent d'abord des céphalées de tension deviennent ensuite d'authentiques tiqueurs ou de véritables sujets obsessionnels.


On peut alors se demander si les symptômes psychosomatiques initiaux ne sont pas les préformes expressives des symptômes psychopathologiques ultérieurs, l'issue des même conflits se jouant d'abord au niveau du corps avant de pouvoir s'agencer au sein même de l'espace psychique.

Mais là encore, l'impact de l'inter-subjectivation serait à prendre en considération dans la mesure où, sans conteste, le corps représente le vecteur relationnel prévalent entre l'enfant jeune et son entourage, cédant peu à peu la place à l'espace de la parole et du langage.