Pour la plupart des gens, BP c’est la pire marée noire de l’histoire. Pour certains, les « spécialistes en communication », c’est une étude de cas exceptionnelle.

En effet, généralement la stratégie des grands groupes dans des cas de ce genre est de communiquer le moins possible et de dépenser des centaines de millions en justice pour tenter de réduire le montant des dédommagements aux sinistrés. Évidemment, le résultat est une image très négative qui en ressort. Mais remarquez, quelle importance? En France, les gens font toujours le plein chez Total malgré l’Érika et aux USA, les automobilistes n’ont pas délaissé Exxon en dépit des ravages causés par l’Exxon Valdez en Alaska. Pire: étant moi-même d’origine bretonne, combien de fois ai-je subi les railleries de parisiens qui se foutaient de nous car on était dans le pétrole?

L’attitude de BP est donc surprenante, détonante même! Pour la première fois, une compagnie de cette envergure tente de montrer qu’elle est pleine de bonne volonté et prête à faire tous les efforts nécessaires pour juguler les ravages de la marée noire. Les journaux rapportent le scepticisme de la population, mais globalement reste cette impression que BP va tout faire pour tout réparer. Le lancement de l’appel aux idées citoyennes pour tenter de limiter la catastrophe est un coup de génie. Les journaux font ainsi état de divers idées de citoyens, comme celui qui propose de se faire couper les cheveux pour la bonne cause, car les cheveux « ont tendance à retenir la graisse ». Et pourquoi ce qui est possible avec la graisse ne le serait-il pas avec le pétrole? Étendons donc des tonnes de cheveux sur les plages, ils récupéreront bien un peu de pétrole!

Arrivé ici, il serait on ne peut plus intéressant de réaliser une analyse de presse pour voir quel impact a eu la pro-activité de la compagnie sur le discours des médias et au final sur l’image que se fait le public de la catastrophe. Celui-ci, devant les efforts déployés, oubliera-t-il qu’il y a peu BP demandait au gouvernement fédéral de réduire les normes de protection sur les plate-formes en mer? Ou encore qu’en dépit de la catastrophe, BP continue de faire des milliards de profit chaque trimestre?

Bref, autant dire que tout le monde dans le milieu des communications étudie l’évènement avec soin. Et il y a fort à parier que celui-ci donnera énormément de grain à moudre aux chercheurs et aux conférenciers. Actuellement tout le monde parle des médias sociaux. Voilà qui assure l’avenir (l’après médias sociaux)! A ce propos, il est intéressant de noter que les médias rapportent différentes actions de BP mais que des initiatives menées dans les médias sociaux retiennent très peu l’attention. Un hasard?

J’ai fait une recherche sur Facebook de pages ou de groupes dénonçant la marée noire. Résultat: je n’ai rien trouvé, sauf 2 groupes pro BP. Le premier est l’officiel de la compagnie, le deuxième propose de rejoindre le groupe pour devenir « fan » de la compagnie! Il y a cependant énormément de messages postés sur ce dernier, quasiment un aux dix secondes, à tel point qu’on a du mal à suivre. Cependant, si ceux-ci dénoncent la marée noire ou le sort réservé aux pélicans, il est étonnant de constater que BP en sort quasiment indemne. A l’heure où j’écris ces lignes, il y a 2000 membres. C’est dire que l’impact de ce groupe est nul.

Maintenant, intéressons-nous aux blogs: quel meilleur moyen utiliser en principe que de se rendre sur Google, de taper « marée noire BP » et de lancer la recherche en sélectionnant l’option blog. Résultat? Le premier lien est Radio-Canada, média traditionnel s’il en est un, qui titre: « Marée noireBP récupère 10 000 barils par jour« . Les trois suivants sont des médias internet (Karameloo.com, les infos.com, et editoweb.eu). On est loin d’un blog. Tous titrent: Marée noireBP a dépensé 1,25 milliard de dollars. Et l’on constate que BP profite globalement d’articles très favorables!

Au final, on remarque que le web 2.0 semble absent de cette crise qui en théorie aurait du couler la compagnie. Peut-être existe-t-il des groupes Facebook et des blogs ravageurs. Mais force est de constater qu’ils sont quasiment introuvables. On peut alors s’interroger sur l’impact réel du web 2.0. A moins que ce ne soit la stratégie de communication de BP qui ait été particulièrement efficace. Les « experts web 2.0 » nous expliqueront certainement tout cela dans quelques mois.


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.