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Chapitre II. Le mandat parlementaire

Synthèses

par Rémi Schenberg

Ce chapitre regroupe les informations figurant dans les contributions des sections membres qui permettent de décrire les principales caractéristiques du mandat parlementaire tel qu’il est conçu dans les parlements francophones. Il s’agit, en fait, d’un ensemble de données hétérogènes concernant aussi bien le régime électoral, la durée du mandat ou le régime de protections dont bénéficient les parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions, qu’ils soient députés ou, lorsque le Parlement est bicaméral, Sénateurs.

Dans la mesure où chacune des sections de ce chapitre concerne des aspects spécifiques et, parfois, sans lien les uns avec les autres du mandat parlementaire, il apparaît ni aisé ni justifié de dégager des grandes lignes directrices pouvant servir de fil conducteur à une synthèse des pratiques en vigueur dans les parlements francophones dans ces domaines. De manière non exhaustive, on se bornera donc, pour quelques uns des aspects et caractéristiques retracés dans chacune des sections, de mettre en lumière les traits saillants, plus ou moins généralisés, et, le cas échéant, les spécificités propres à chacun des systèmes.

À ce stade, il est néanmoins possible de formuler deux observations préliminaires.

D’une manière générale, l’exercice de la fonction parlementaire répond, dans tous les systèmes institutionnels disposant d’un Parlement élu, à des besoins, des contextes et des contraintes somme toute souvent comparables. Il n’est donc pas surprenant que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les parlements francophones, au-delà de leur diversité, mettent en œuvre des solutions ou proposent des dispositifs parfois semblables ou, du moins, d’inspiration proche. Ainsi, dans le cadre de systèmes parlementaires représentatifs, on observe que tous les parlements membres partagent, peu ou prou, la même conception de la nature du mandat parlementaire. Pareillement, les fonctions parlementaires supposant impartialité et indépendance, les députés et sénateurs bénéficient tous d’un régime de protection dérogatoire au droit commun, quelles qu’en soient la nature juridique, la portée et les modalités de mise en oeuvre.

Il n’en reste pas moins que, pour la plupart des aspects concernés, des spécificités peuvent être relevées, qui mettent encore une fois en évidence, le plus souvent, les particularismes des parlements fonctionnant selon les principes du parlementarisme britannique. On notera toutefois, d’ores et déjà, que, contrairement à ce qui a pu être noté pour les sources du droit parlementaire, les différences résident essentiellement dans l’approche et dans les méthodes, les objectifs poursuivis au travers des instruments mis en place étant de même nature que ceux visés dans les autres parlements.

1.- Les caractéristiques générales du mandat parlementaire

Les développements afférents aux caractéristiques générales du mandat parlementaire font ressortir trois points principaux.

Tout d’abord, la plupart des contributions s’attachent à mettre en évidence le caractère non impératif du mandat. Dans chacun des parlements membres, le mandat est libre et le parlementaire ne peut ni ne doit recevoir d’ordre ou d’injonction de la part de ses électeurs. Cette règle de base, intrinsèquement liée au système représentatif, est explicitement rappelée dans la plupart des contributions des parlements d’Afrique (Sénégal, Gabon, Centrafrique…), d’Europe (France, Roumanie…). La notion de mandat représentatif est également très fortement ancrée dans les sections d’Amérique du Nord, la liberté intrinsèquement attachée au mandat allant jusqu’à l’acceptation des changements d’allégeance politique.

Ensuite, le mandat est général, ce qui signifie que son titulaire, bien qu’élu dans une circonscription, représente, en principe, la collectivité toute entière. Notons que cette caractéristique vaut également pour le mandat des sénateurs, à l’exception du cas du Congo où ceux-ci représentent explicitement les collectivités territoriales.

Enfin, bien que cette notion donne lieu à de nombreuses interprétations selon les contributions, le mandat est, le plus souvent, considéré comme « professionnel », c’est à dire une fonction à plein temps justifiant le versement d’une indemnité, quel que soit le nom qui lui est attribué, indemnité qui, par ailleurs, faut-il le rappeler, constitue une protection contre les pressions externes et garantit l’indépendance du parlementaire. Il existe néanmoins quelques exceptions, dont le Conseil national de Monaco et l’Assemblée fédérale de la Confédération Helvétique, où les mandats sont expressément qualifiés de non professionnels et conçus comme des activités à temps partiel.

2.- Les modes de scrutin

L’espace parlementaire francophone est loin d’être homogène en matière de mode de scrutin et offre un panorama assez complet de tout ce que le droit électoral peut proposer en la matière Les principales césures tiennent à la fois à l’existence, le cas échéant, d’une Chambre haute élue selon un régime spécifique, mais aussi aux régimes électoraux présidant aux élections législatives.

S’agissant des élections législatives, les principaux modes de scrutin connus sont ainsi mis en œuvre :
- le scrutin majoritaire à un tour, dans les assemblées d’Amérique du Nord, marquées par la tradition britannique, mais aussi au Togo et au Gabon ;
- le scrutin majoritaire à deux tours, en France et au Congo ;
- le mode de scrutin mixte ou dual, alliant, selon des modalités variables, représentation proportionnelle et majoritaire, dans des assemblées européennes (Andorre, Hongrie), mais aussi au Sénégal, au Tchad et en Tunisie ;
- la représentation proportionnelle intégrale, présente en Europe (Suisse, Belgique au niveau fédéral, Roumanie…), au Maroc et au Burundi.

D’une manière générale, notons que les modes de scrutin faisant une place plus ou moins large à la représentation proportionnelle recueillent une certaine faveur dans la majorité des assemblées législatives membres.

En ce qui concerne la sélection des membres des chambres hautes, la diversité est aussi la règle, mais dans des cadres plus étroits :
- en premier lieu, une place particulière doit être faite au Sénat du Canada, dont les membres sont tous formellement nommés par le Gouverneur général, c’est à dire le Chef de l’État, représentant de la Reine, sur proposition du Premier ministre ;
- le Sénat de Madagascar combine suffrage indirect à partir d’un collège électoral, applicable à la majorité des membres, et nomination directe d’un certain nombre d’entre eux par le chef de l’État ;
- quelques Chambre hautes sont élues dans des conditions similaires à celles prévues pour les députés (Roumanie et Suisse) ;
- la plupart des sections ont cependant opté pour une élection au suffrage indirect, par un collège électoral restreint composé généralement d’élus locaux et nationaux et, suivant le cas, selon un mode majoritaire (Gabon, Congo) ou dual au vu du nombre de sénateur à élire dans une circonscription donnée (France).

3.- La représentation de groupes spécifiques

Fondamentalement, les assemblées parlementaires francophones sont, comme on l’a vu, très attachées au principe du mandat représentatif, libre et général. Aussi, dans leur grande majorité, elles ne proposent pas expressément de mécanismes juridiques tendant à assurer la représentation de groupes ou communautés particuliers. Quelques une d’entre-elles, néanmoins, accommodent le principe du mandat libre afin de tenir compte de spécificités locales, qu’elles soient linguistiques, culturelles, géographiques ou ethniques.

Sont ainsi concernées, à des degrés divers, la Belgique au niveau fédéral, la Roumanie, où est prévu la représentation des minorités nationales telles qu’elles sont définies par la loi et, surtout, le Burundi, où chacune des deux ethnies doit représenter un certain pourcentage de l’effectif total des députés.

Bien qu’aucune disposition exprès ne le prévoie, la tradition veut que les nominations des membres du Sénat du Canada assurent, autant que faire se peut, une représentation équitable des minorités et du pluralisme canadien.

Citons enfin le cas du Sénat français, qui, bien qu’il n’assure pas la représentation d’un groupe spécifique tel que défini précédemment, ne s’en voit pas moins confier un rôle particulier, puisqu’aux termes de la Constitution, il assure la représentation des collectivités locales et des français établis hors de France.

4.- La durée des mandats

Dans ce domaine également, l’homogénéité n’est pas nécessairement de mise au sein des parlements francophones. L’analyse des contributions fait apparaître des différences dans les pratiques, tenant principalement au principe même d’une durée fixe de mandat, au quantum de la durée et à la situation des membres des chambres hautes.

S’agissant du principe d’une durée fixe de mandat, on observe une distinction entre les parlements de tradition continentale et ceux du type britannique.

Les premiers optent systématiquement pour une durée fixe de mandat qui ne peut, en principe, être interrompue hormis les cas de démission, de décès ou de dissolution lorsque celle-ci est possible, ce qui est prévue dans la quasi-totalité des systèmes institutionnels, à l’exception du Congo. Notons que ce dernier cas de figure ne concerne, pour l’essentiel, que les assemblées législatives, les chambres hautes ne pouvant être dissoutes, sous réserve des exceptions notables que constituent la Roumanie et la Belgique au niveau fédéral.

Les parlements de type britannique, en revanche, ne connaissent pas nécessairement de terme fixe. Ainsi, à la Chambre des communes du Canada et à l’Assemblée nationale du Québec, la seule limite juridiquement imposée à la durée du mandat des députés est celle de la durée maximum de la législature, soit cinq ans, mais ces assemblées peuvent être dissoutes à tout moment à la demande des Premiers ministres. En pratique la durée du mandat, dans ce cas, est donc déterminée par les choix effectués par ce dernier. [1] Sauf, bien entendu, en cas de vote de défiance survenant précocement et l’obligeant à provoquer des élections.

La durée elle-même du mandat des députés varie, sans surprise, entre quatre et cinq ans. En la matière, il est difficile de dégager une pratique dominante, même si les mandats de cinq ans sont privilégiés en France, dans les législatures africaines (Gabon, Congo, Burundi, Centrafrique, Sénégal, Togo), dans celles du Maghreb (Tunisie, Maroc) et par les régions et communautés belges. Le mandat de quatre ans est, en revanche, plus souvent retenu en Europe (Belgique au niveau fédéral, Suisse, Andorre, Hongrie, Roumanie…). Quant aux chambres basses canadiennes, on a vu que, dans la plupart des cas, cette question ne se pose pas dans les mêmes termes, étant entendu que la durée maximum de la législature est limitée, par la loi constitutionnelle de 1982, à cinq ans.

En ce qui concerne les chambres hautes, les mandats sont, dans certains cas, plus longs que ceux de la chambre basse, en concordance avec l’esprit qui a présidé, dans les pays concernés, à la mise en place de ces assemblées. Dans ce cas, le mandat est généralement de six ans (Madagascar, Gabon et Congo). Notons que le mandat des sénateurs français était, jusqu’à peu, de neuf ans, mais cette durée a été, en 2003, ramenée à six ans. En revanche, certaines chambres hautes sont élues pour des durées équivalentes à celles des assemblées législatives (Roumanie, Belgique au niveau fédéral, Suisse, Burundi).

On notera que dans ces pays, le bicaméralisme est, d’une manière générale, plus « égalitaire » que dans ceux évoqués plus haut. Enfin, une place à part doit être réservée au Sénat du Canada, dont les membres nommés sans limitation de durée, tout en étant tenus, depuis 1965, de prendre leur retraite à soixante-quinze ans.

5.- Les incompatibilités entre fonctions parlementaires, autres fonctions publiques ou privées et la question du cumul de mandats

Contrairement aux cas d’inéligibilité, les fonctions considérées comme incompatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire n’empêchent pas a priori, en règle générale, leurs titulaires de briguer un mandat de député ou de sénateur. En principe, les situations d’incompatibilité conduisent la personne concernée à faire un choix, que l’incompatibilité soit constatée au moment de l’élection ou qu’elle apparaisse en cours de mandat.

Dans la mesure où les fonctions parlementaires doivent être exercées en toute indépendance, les systèmes parlementaires francophones se sont dotés d’outils destinés à protéger les membres de leurs assemblées des inconvénients pouvant résulter de l’exercice simultanée de fonctions susceptibles de les mettre face à des conflits d’intérêt, qu’il s’agisse de fonctions publiques électives, de fonctions publiques non électives ou de fonctions privées. Toutefois, des différences significatives peuvent être mises en évidence entre les parlements, concernant aussi bien le périmètre des incompatibilités que les modalités de mise en œuvre des régimes juridiques.

Les fonctions publiques non électives.

S’agissant des fonctions publiques non électives autres que gouvernementales, on observe une certaine homogénéité au sein des Parlements francophones.

D’une manière générale, les instruments et pratiques conduisent, le plus souvent, à fixer des incompatibilités générales avec les fonctions relevant des autres pouvoirs de l’État, soit celles de magistrats et de membres de la Fonction publique d’État, ainsi qu’à définir des incompatibilités spécifiques avec des fonctions de nature publique et attestant de responsabilités particulières, mais qui ne relèvent pas de la fonction publique ou de la magistrature au sens stricte (membres des Cours constitutionnelles, Présidents d’autorités administratives, personnalités désignées par le Parlement….). De même, les textes proscrivent souvent explicitement les fonctions émanant d’un État étranger ou d’une organisation internationale. En revanche, certains parlements acceptent facilement explicitement l’exercice simultané des fonctions parlementaires et de celles d’enseignement supérieur (France, Sénégal…).

En fait, la différence majeure tient à la question de la compatibilité entre les fonctions parlementaires et les fonctions gouvernementales, domaine dans lequel les spécificités du parlementarisme britannique, notamment, sont évidentes.

Dans la plupart des systèmes parlementaires francophones, députés et sénateurs ne peuvent être membres du gouvernement et doivent opter, selon des procédures variables, pour l’une ou l’autre fonction. Cette interdiction est directement liée à la nature du système institutionnel lui-même, beaucoup de ces parlements s’inscrivant dans une double tradition, à la fois continentale sur le plan parlementaire et « présidentialiste », reposant sur une séparation des pouvoirs assez marquée.

En sens inverse, le cumul des fonctions de membres du parlement et de membre du gouvernement est consubstantiel au fonctionnement du système parlementaire du type britannique puisque, dans ce système, qui repose sur une séparation souple des pouvoirs, le gouvernement constitue, de fait, la branche exécutive du groupe parlementaire majoritaire. En toute logique, la question de l’incompatibilité ne se pose donc ni dans les assemblées fédérales canadiennes, ni à l’Assemblée nationale du Québec, ni dans les autres législatures provinciales.
Il reste que d’autres parlements ne relevant pas de la tradition britannique acceptent également le cumul des fonctions gouvernementales et des mandats parlementaires. Tel est, notamment, le cas de la Roumanie, de la Hongrie et du Maroc.

Les fonctions publiques électives.

La possibilité ou l’interdiction de cumuler plusieurs fonctions publiques électives s’inscrit dans la problématique plus large du cumul des mandats. À cet égard, il convient de distinguer deux situations.
Le cumul de deux ou plusieurs mandats nationaux est, partout où la question se pose, interdit. Cette hypothèse vise, essentiellement, le cumul des mandats à la chambre haute et à la chambre basse, toujours proscrit.

En revanche, le cumul d’un mandat national et d’un mandat « supra national » ou, le cas échéant, fédéral, reçoit des réponses plus nuancées. Ainsi, au Canada, les membres de l’Assemblée nationale du Québec et des législatures provinciales ne peuvent appartenir à l’une ou l’autre des deux assemblées fédérales et réciproquement. En Belgique, ce principe s’applique également, mais il connaît un assouplissement dans la mesure où vingt sénateurs peuvent être conjointement membres d’un parlement régional ou communautaire.

Quant aux parlements francophones de membres de l’Union européenne, la France et, à compter du 1er janvier 2007, la Roumanie, interdisent le cumul d’un mandat de député ou sénateur avec celui de député au Parlement européen, ainsi que la Belgique, aussi bien pour les membres des parlements régionaux ou communautaires que pour ceux des assemblées fédérales.

En fait, c’est surtout au regard des mandats « infra nationaux » et locaux que les règles divergent. Notons cependant qu’en la matière, la pratique du cumul de mandats relève au moins autant de la tradition et de la culture politique que des normes spécifiquement adoptées à cet effet.
Certains parlements interdisent purement et simplement le cumul entre un mandat « national » et un mandat local, étant entendu qu’il ne s’agit pas de la situation majoritairement observée.

D’une manière générale, dans les systèmes de type britannique, le cumul de mandats ne se pratique pas parce que telle n’est pas la tradition. Le Québec va cependant plus loin en interdisant explicitement tout exercice simultané d’un mandat législatif et d’une fonction élective locale. Au sein des parlements de type continental, celui d’Andorre retient une telle interdiction.

À l’autre bout du spectre, certains parlements francophones ne posent pas de limites, ni quant au principe ni quant au nombre, au cumul entre mandats locaux et centraux (Togo, Tchad, Centrafrique, Tunisie, Gabon…).

Enfin, dans d’autres parlements, le principe du cumul des mandats est toléré, moyennant un encadrement plus ou moins strict. Les restrictions peuvent alors prendre la forme d’une limitation soit du nombre de mandats cumulables (Congo, Maroc, Sénégal…), soit de la nature des mandats cumulables - la Hongrie, par exemple n’autorise que le cumul député et maire –, soit encore d’une combinaison de ces deux critères : Tel est le cas de la France qui autorise, outre le mandat parlementaire national, une fonction exécutive locale ou un mandat dans une assemblée locale.

À ce stade, il convient d’évoquer rapidement les modalités de mises en œuvre des dispositifs relatifs aux incompatibilités entre mandats parlementaires et fonctions publiques. Dans la plupart des parlements francophones, les situations d’incompatibilités ouvrent des délais d’option au profit du parlementaire concerné. À défaut de s’être mis en conformité dans les délais impartis, le parlementaire en contravention peut être démis d’office à l’issue d’un processus associant les instances dirigeantes de la chambre et, le cas échéant, une Cour constitutionnelle. Dans ce domaine, le système britannique mis en œuvre à l’Assemblée nationale du Québec se démarque sensiblement, puisque si un député ne s’est pas mis de lui-même en conformité, seul un autre député peut soulever la question et enclencher une procédure à l’issue de laquelle l’Assemblée pourra, le cas échéant, prononcer elle-même une sanction éventuelle dont elle assurera l’exécution.

Les fonctions privées.

Le traitement des incompatibilités éventuelles entre mandats parlementaires et activités privées pose des difficultés particulières, ne serait-ce qu’en raison de la diversité des activités susceptibles d’être concernées et de la difficulté à établir, dans bon nombre de cas, des frontières claires dans un contexte économique et social par définition évolutif.

Sur cette question, les parlements francophones se distinguent sur plusieurs points.

Certains parlements se montrent relativement tolérants à l’égard des fonctions privées. Parmi ces derniers, la Suisse, Monaco et Andorre, ainsi que le Maroc, ne font état d’aucune incompatibilité de principe entre les fonctions privées et le mandat parlementaire. D’autres assemblées adoptent des postures voisines, tout en précisant que les parlementaires ne doivent pas faire état de leur qualité dans le cadre des activités professionnelles qu’ils continuent à exercer légalement (Sénat de Madagascar, Assemblées législatives du Burundi et de Tunisie).

Une autre pratique consiste, sans poser d’interdiction de principe, à interdire aux parlementaires d’exercer certaines fonctions limitativement énumérées. Dans certains cas, l’exclusion vise principalement les fonctions dirigeantes au sein d’entreprises privées ou d’actionnaires majoritaires (Sénégal, Togo). L’exclusion peut aussi viser principalement les cadres dirigeants des entreprises publiques ou de celles participants, d’une façon ou d’une autre, au service public (Hongrie). En France, cette démarche conduit à prendre également en compte les fonctions dirigeantes d’entreprises privées susceptibles de recevoir des avantages d’une collectivité publique et elle est assortie d’une obligation déclarative permettant de retracer les changements de situation.

Enfin, d’autres parlements proposent de juxtaposer ou combiner les critères et de définir des listes de fonctions incompatibles qui tiennent à la fois compte de la nature de l’entreprise – appartenance au secteur public au sens large - et de celle de la fonction exercée – dirigeant ou actionnaires majoritaire d’entreprise privées (Centrafrique, Tchad, Gabon, Roumanie).

En matière d’incompatibilité entre mandats parlementaires et fonctions privées, les parlements du type britannique, tout en poursuivant des fins comparables, adoptent une démarche différente, plus finalisée, axée essentiellement sur la prévention des conflits d’intérêt. Le principe est que les parlementaires peuvent exercer des activités privées, mais ils doivent éviter de se mettre dans une situation où l’intérêt personnel pourrait influer sur leur mandat et où, d’une manière générale, l’intérêt personnel l’emporte sur l’intérêt général. Selon le cas, il appartient au parlementaire de se mettre en conformité d’office, ou moyennant un délai.

Cette prévention est complétée par une obligation de déclaration des intérêts pécuniaires, soit par voie de déclaration systématique (Chambre des communes du Canada), soit par voie de déclaration ad hoc, au vu de la matière abordée par la chambre (Assemblée nationale du Québec). Notons qu’au Québec, ce régime déclaratif finalisé est, cependant, complété par des interdictions expresses et générales, renforcées dans le cas des députés exerçant des fonctions gouvernementales.

6.- La protection du mandat parlementaire : les immunités

La démocratie parlementaire suppose que les membres des assemblées puissent exercer leur mandat en toute indépendance. Ils doivent ainsi, notamment, pouvoir s’exprimer librement en qualité de parlementaires sans craindre d’être poursuivis, de même qu’ils doivent être mis à l’abri des pressions extérieures intentées dans le seul but de les empêcher de remplir leur mandat et être en mesure de participer aux délibérations de la chambre à laquelle ils appartiennent. Toutefois, en démocratie, les titulaires d’un mandat représentatif ne peuvent pas, en toutes circonstances, bénéficier de privilèges dérogatoires qui les placent systématiquement « au dessus des lois ».

À la recherche d’un équilibre entre les besoins de la fonction parlementaire et les aspirations à l’égalité, tous les parlements francophones mettent donc en place des instruments juridiques tendant à assurer à la fois « l’irresponsabilité » de leurs membres, ainsi que leur « inviolabilité » personnelle, mais sur la base de fondements juridiques parfois distincts, selon des modalités variables et qui produisent, en définitive, des effets parfois significativement différents.

La tradition continentale : L’irresponsabilité et l’inviolabilité constitutionnelles

Preuve de leur caractère essentiel au bon fonctionnement de l’institution parlementaire, les immunités dont bénéficient les membres des assemblées sont, dans les parlements que l’on peut rattacher à la tradition continentale, enchâssées dans les Constitutions de chacun des États. Rappelons, en effet, que, dans ces systèmes parlementaires, les principes fondamentaux régissant les parlements figurent dans des textes de nature constitutionnelle (cf. Chap. I).

Bien entendu, la constitutionnalisation des protections n’empêche pas que leurs modalités de mises en œuvre soient, si besoin, confiées à la loi.

La définition et la portée de l’irresponsabilité des parlementaires fait preuve d’une grande homogénéité au sein des parlements de type continental. D’une manière générale, elle conduit à soustraire les membres des assemblées de toute poursuite pour les opinions et votes émis dans l’exercice de leur mandat.

Dans tous les parlements concernés, elle possède ainsi les mêmes caractéristiques :
- elle est absolue, dans le sens où elle vise toutes les poursuites, qu’elles soient pénales ou civiles ;
- elle est générale, car elle prend en compte l’ensemble des actes effectués dans le cadre de l’exercice du mandat. À cet égard, seul le parlement marocain introduit expressément une nuance, puisque l’irresponsabilité n’y couvre pas la mise en cause du régime monarchique, la religion musulmane et les atteintes au respect dû au Roi ;
- elle est permanente, car elle joue même si l’Assemblée ne siège pas et perdure après la fin du mandat ;
- elle est finalisée, car elle ne couvre que les actes effectués dans le cadre du mandat ; a contrario, elle ne protège donc pas ceux rattachables à des activités personnelles, telles que des activités partisanes par exemple (cf. France et Belgique).

Plus complexe à mettre en œuvre, le régime des inviolabilités, qui vise à faire en sorte que l’exercice du mandat ne soit entravé par des poursuites judiciaires liées à des faits extérieurs au mandat, connaît un certain nombre de spécificités selon les parlements. Par ailleurs on observe une tendance à une approche plus restrictive, visant à limiter le bénéfice de ce régime dérogatoire du droit commun à ce qui est strictement nécessaire pour le bon accomplissement du mandat parlementaire.

D’une manière générale, on observera que les parlements de tradition continentale se caractérisent tous, dans ce domaine, par un point commun : l’inviolabilité ne joue qu’en matière pénale, ce qui signifie que les députés ne sont pas protégés contre les poursuites civiles. On verra plus loin que ce point constitue une différence de taille avec les parlements du type britannique.

Cette remarque préliminaire formulée, il est possible de regrouper ces parlements en trois catégories, selon le caractère plus ou moins restrictif de la protection accordée aux parlementaires.

Certaines législatures organisent l’inviolabilité de manière assez compréhensive, en soustrayant leurs membres, d’une manière générale, des poursuites et mesures coercitives pendant la durée du mandat. (Congo, Hongrie et Tunisie), tout en prévoyant, cependant, que cette protection peut être levée par le Parlement lui-même. De son côté, la Roumanie, met en place un système particulier : Les parlementaires peuvent être, en principe, poursuivis et traduits devant un tribunal pénal, mais gardes à vue, arrestations et perquisitions doivent être autorisées par la Chambre. Quant aux poursuites, elles doivent avoir été décidées par le Parquet près la juridiction suprême, juridiction qui a, de surcroît, seule compétence pour juger les parlementaires.

D’autres parlements mettent en place un mécanisme un peu plus circonscrit, qui repose, notamment, sur une distinction nette entre la protection accordée pendant les sessions et celle garantie en dehors des sessions. D’une manière générale, lorsque l’assemblée est en session, les parlementaires bénéficient d’une protection complète : ils ne peuvent être ni poursuivis, ni arrêtés, sans autorisation de la Chambre.

En dehors des sessions, la protection se limite à un privilège d’arrestation, qui peut être levé par l’organe dirigeant de l’assemblée, généralement son Bureau, la poursuite étant, en revanche, possible sans autorisation. Notons que, de manière quasiment systématique, la protection ne joue pas en cas de flagrant délit ou de condamnation définitive. C’est ce modèle qui est en vigueur dans bon nombre de parlements francophones (Gabon, Centrafrique, Madagascar, Maroc, Tchad, Monaco, Burundi, Sénégal), au point que l’on peut quasiment le qualifier de « modèle standard » de protection des parlementaires dans l’espace francophone.

Enfin, certaines assemblées, tout en s’inscrivant dans la même logique, restreignent davantage le champ de la protection. Ainsi, en Belgique, concernant aussi bien les élus fédéraux que les membres des parlements de communautés ou de régions, l’inviolabilité a été restreinte à la durée des sessions [2] et n’empêche pas les poursuites dans la mesure où elles sont diligentées par un officier du ministère public. En outre, s’agissant des mesures coercitives, une gradation est prévue, certains actes ne requérant plus l’autorisation de l’Assemblée. Dans le même esprit, en France, les parlementaires peuvent désormais être poursuivis en toutes circonstances et seules les mesures restrictives de liberté nécessitent encore l’accord du bureau de l’Assemblée. [3]

La tradition britannique : la protection par les privilèges parlementaires
Tout comme leur homologues continentaux, les parlements francophones de type britannique mettent en place des garanties et protections destinées à permettre aux parlementaires d’exercer leurs fonctions en toute indépendance. Toutefois, ces protections possèdent deux caractéristiques qui les distinguent de celles en vigueur dans les autres assemblées :
- elles trouvent parfois leurs sources dans des textes, mais, fondamentalement, elles constituent l’émanation des privilèges parlementaires ;
- elles garantissent une protection individuelle des parlementaires globalement plus limitée.

Les privilèges parlementaires sont des droits et avantages restreints qui dérogent au droit commun, accordés individuellement ou collectivement aux membres d’une assemblée parlementaire agissant en cette qualité, et considérés comme nécessaires à l’exercice des fonctions législatives. Les privilèges individuels généralement reconnus aux membres d’une assemblée législative de type britannique sont la liberté de parole, l’immunité d’arrestation en matière civile, l’exemption de l’obligation de faire partie d’un jury et le privilège relatif à l’assignation à comparaître comme témoin. Ces droits n’ont pas pour effet de placer les parlementaires systématiquement hors du droit commun. De fait, ces privilèges sont restreints à ce qui est nécessaire à l’exercice des fonctions parlementaires.

Dans les parlements de type britannique, les protections équivalentes à « l’irresponsabilité » signifient que, d’une manière générale, un député ne peut être poursuivi, arrêté ou emprisonné en raison de paroles prononcées, d’un document déposé ou d’un acte parlementaire accompli dans l’exercice de ses fonctions en chambre, dans une commission ou une sous-commission. Ce privilège de la liberté de parole, qui peut d’ailleurs être repris par une loi, (Québec) n’est cependant pas absolu : il joue seulement dans le cadre des délibérations parlementaires et il est circonscrit par les règles du débat parlementaire.

Comme on le constate, sur ce point du moins, les protections garanties dans les parlements du type britannique sont assez comparables à celles proposées dans les autres assemblées.

Il en va différemment des mécanismes censés garantir « l’inviolabilité » personnelle des membres des assemblées, au sens où cette dernière est entendue dans les parlements continentaux.

De fait, les privilèges parlementaires individuels inhérents destinés à prévenir l’entrave du mandat parlementaire par des procédures judicaires sont limités. Il s’agit, en tout et pour tout, de l’immunité d’arrestation en matière civile, devenue aujourd’hui largement sans objet, de l’exemption de l’obligation de faire partie d’un jury et du privilège relatif à l’assignation à comparaître comme témoin.
Dans certaines législatures, ces protections ont été étendues ou précisées par la loi. Au Québec, par exemple, les députés ne peuvent être arrêtés et n’ont pas à comparaître pour outrage au tribunal lorsqu’ils participent au travaux de l’Assemblée ou d’une commission et ils sont exemptés de comparaître comme témoins pendant les mêmes périodes, ces protection s’étendant aux deux jours qui précèdent et aux deux jours qui suivent. À la Chambre des communes, le privilège de l’assignation à comparaître commence 40 jours avant le début d’une session et se termine 40 jours après sa dissolution.

À l’examen, cette protection est donc plus limitée que celle mise en œuvre dans le reste des parlements francophones : elle ne met pas les parlementaires à l’abri des poursuites pénales ni, a fortiori, des arrestations. [4] En la matière, le statut des parlementaires du type britannique est donc moins dérogatoire du droit commun que celui de leurs homologues continentaux.

Il faut toutefois souligner que les membres des assemblées de type britannique bénéficient d’autres protections du fait de l’existence des privilèges parlementaires inhérents. En effet, parmi les privilèges reconnus, non pas individuellement, mais collectivement à leurs membres, figure celui de réprimer l’outrage, que les assemblées mettent en œuvre elles-mêmes. Par ce biais, les parlementaires sont, peu ou prou, protégés contre tout agissement tendant à les gêner, intimider ou menacer dans l’exercice de leurs fonctions, à les diffamer ou proférer des injures à leur encontre, à les corrompre ou chercher à les corrompre, à essayer d’influencer leur vote, leur opinion ou leur jugement, par fraude menace ou pressions indues…

[1Certaines assemblées de type britannique – Assemblées législatives de l’Ontario, par exemple - connaissent cependant des élections générales à dates fixes, sous réserve d’une dissolution à la demande du premier ministre, qui peut intervenir à tout moment. Techniquement, ces dispositions ne concernent pas la durée du mandat stricto sensu, mais elles aboutissent, en pratique, à une situation proche de celle en vigueur dans les parlements « continentaux ».

[2Même, si en, l’espèce, les modalités de calcul des sessions conduit à conférer une protection quasi permanente.

[3Mais en Belgique, comme en France, l’assemblée peut décider par un vote la suspension des poursuites pour la durée de la session.

[4Le privilège d’exemption à comparaître ne vise, en pratique, que le cas où le parlementaire est cité comme témoin dans une affaire où il est un tiers.