Courrier international
Par Ramy Wurgaft – El Mundo
Le gouvernement brésilien, applaudi par Greenpeace, privatise une partie de la forêt amazonienne. Heureuse initiative ou désastre écologique
La première fois que Lula a exposé son projet, les ministres ont cru que le président plaisantait. Privatiser la forêt amazonienne brésilienne ?
Cette immensité de forêts et de fleuves qui représente 73 % du territoire national ? A la surprise générale, le projet a obtenu l’approbation du Congrès et même la bénédiction de Greenpeace, la plus exigeante organisation de défense de la nature.
La ministre brésilienne de l’Ecologie, Marina da Silva, elle-même originaire d’un Etat amazonien, a aussi donné son feu vert.
La loi, entrée en vigueur début mars, envisage d’octroyer des concessions payantes à des entreprises privées sur 130 000 des 5 millions de kilomètres carrés de l’Amazonie, berceau de la plus grande biodiversité de la planète.
L’objectif de ces concessions est d’éviter l’exploitation illégale des ressources naturelles par des aventuriers comme Paulo do Sosa Almeyda, un vendeur de journaux devenu propriétaire de plusieurs casinos flottants [sans aucune autorisation] sur le bassin du fleuve Amazone et d’une flottille de petits avions. Sosa Almeyda a falsifié un titre de propriété de l’Etat et s’est approprié 5 millions d’hectares de forêt vierge. En moins de deux ans, il a fait fortune grâce au commerce de bois précieux.
Pour mieux protéger la forêt, le raisonnement du président Lula et de la majorité des députés table sur le fait que la vente de ces 13 millions d’hectares à des entreprises privées va en interdire l’accès aux défricheurs illégaux, ainsi qu’aux garimpeiros (prospecteurs clandestins d’or et de pierres précieuses) et même aux prétendues ONG qui, sous couvert d’aider les communautés indigènes, volent des plantes médicinales pour les revendre à de grands groupes pharmaceutiques.
Cette tentative de privatisation de l’Amazonie montre bien que le coûteux dispositif de surveillance [notamment par satellite] mis en place pour éloigner ceux qui en convoitent les richesses n’a pas atteint son objectif.
Les détracteurs du projet soulignent que cette privatisation engage le pays dans un début de renoncement à sa souveraineté sur le poumon de la planète. [Un débat récurrent au Brésil, où l’on craint que la forêt amazonienne ne soit internationalisée.] “Au lieu d’avoir le drapeau d’une puissance étrangère flottant sur la forêt, nous aurons des clôtures électrifiées avec des panneaux annonçant : ‘Interdiction d’entrer, propriété privée de telle ou telle entreprise’”, s’indigne Leão Vargas, conseiller municipal de Manaus [capitale de l’Etat d’Amazonas].
Par ailleurs, Vargas doute de la capacité des entreprises commerciales à respecter les limitations imposées par la loi à leurs activités. Celle-ci prévoit en effet que les concessions seront octroyées pour quarante ans, avec l’obligation de se soumettre tous les trois ans à un contrôle de la gestion forestière pour vérifier le caractère durable de l’exploitation des ressources naturelles.
Un amendement prévoit également la création d’un Service forestier brésilien (SFB) qui sera chargé de délimiter les zones concédées, tout en assurant la préservation des réserves indiennes. Les agents du SFB seront envoyés sur des points stratégiques comme les fleuves, afin de contrôler les marchandises qui partent vers les marchés étrangers.
Les artisans de cette loi font valoir que les piratas [exploitants illégaux et contrebandiers], non contents de surexploiter la forêt avec les graves conséquences écologiques que l’on connaît, ne partagent pas leur butin avec l’Etat.
Or, selon les estimations, cette vente devrait renflouer les caisses de l’Etat à hauteur de 4 milliards de dollars (environ 3 milliards d’euros) grâce aux impôts et taxes diverses. Autre argument majeur : cette initiative devrait créer 5 000 emplois, dans une région ravagée par le chômage. Lula passera-t-il à la postérité comme le sauveur de l’Amazonie ou comme l’auteur d’une hécatombe écologique?