15 juillet 2007

La plus belle fille du monde

Tous, nous croisons, au cours de notre vie, des êtres qui nous émeuvent par leur grâce, leur beauté ou leur charisme. L'image que nous en gardons est imprimée durablement dans notre mémoire. Peut-être le temps magnifie-t-il leur joliesse, mais nous savons qu'il s'agissait de personnes remarquables, sur le plan de l'esthétique.

Nous savons aussi que l'appréciation de la beauté repose sur des critères qui sont souvent bien personnels, et que ces critères relèvent de considérations culturelles ou ethniques qui ne peuvent faire l'unanimité. Néanmoins, certaines personnes se démarquent si nettement du commun des mortels que nous ne pouvons que nous incliner devant l'évidence : elles sont belles. Si belles, en fait, que nier cette beauté est affaire de mauvaise foi. Évidemment, la beauté ne garantit pas la gentillesse, ni l'honnêteté, ni la compassion, mais elle n'est pas non plus synonyme de vanité.

J'ai eu le plaisir, comme tout le monde, de rencontrer de ces êtres d'exception. J'ai souvenir, notamment, d'une jeune Haïtienne qui suivait un cours de politique internationale auquel j'étais inscrit. Elle était magnifique. Froide, peu liante, mais d'une resplendissante beauté. Il y avait aussi, dans ce cours, une Marocaine qui tourneboulait tous les garçons. Sa peau sombre, ses yeux de jais attisaient le désir des étudiants qui formaient sa cour. Elle était bien entourée, cette demoiselle, et d'une approche facile. Affable, rieuse, elle séduisait tout le monde. Nous nous désolions du fait qu'elle retournerait bientôt dans son pays d'origine. Il y en a plusieurs, j'en suis certain, qui auraient bien voulu contribuer à sa naturalisation comme citoyenne canadienne.

Mon hétérosexualité ne m'a jamais empêché d'apprécier la beauté masculine, même si j'y suis évidemment moins sensible. Ainsi, alors que j'étais à Vancouver avec mon ami Michel, j'ai connu un Mexicain tout à fait singulier. Bien sûr, ses traits d'une rare délicatesse attiraient les regards, mais c'est surtout la couleur de sa peau qui le rendait attrayant. Une couleur difficile à décrire, d'un brun cuivré avec des reflets gris, presque métallisés. Je n'ai jamais revu une peau de cette teinte. J'ai aussi eu un collègue, à l'époque où je travaillais pour la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui charmait tout le monde : un garçon tellement gentil qu'il séduisait hommes et femmes. Personne ne pouvait résister à ses yeux bleu ciel, à ses jolis cheveux bouclés et à la naïveté de son sourire.

Ce long préambule m'amène finalement à l'objet de mon propos. J'ai eu le bonheur de côtoyer, durant une courte période, une jeune femme que je n'ai jamais hésité à qualifier de «plus belle fille du monde». Oui, ma vision des choses est subjective, et l'histoire est bien ancienne. Mais chaque fois que j'évoque le souvenir de cette jeune personne, c'est la réflexion qui me vient.

*

J'ai déjà mentionné que nous avions l'habitude de nous réunir au parc Ahuntsic. Ce parc se trouvait à une quinzaine de minutes de marche de mon domicile. Fréquemment, nous nous y donnions rendez-vous pour flâner, réfléchir à quelque mauvais coup, reluquer les jeunes filles et, accessoirement, les aborder. Nous étions toujours quatre ou cinq et, pour employer une expression populaire, nous «déplacions de l'air». Aussi était-il difficile de ne pas nous remarquer. Un soir que nous nous tenions sur la butte située dans la partie sud du parc, Robert trouva le moyen d'asticoter une femme qui se prélassait sur la pelouse en compagnie de sa petite famille. La dame s'offusquait des propos de Robert, ce qui eut l'heur de plaire à ses deux filles, qui nous observaient en rigolant. Lorsque la plus vieille tourna la tête en notre direction, nous fûmes saisis. Il s'agissait là du plus beau visage que j'eus jamais contemplé. Et du plus avenant. Son sourire absolument radieux nous conquit immédiatement. Non seulement était-elle belle mais, ô miracle, elle semblait intéressée par nos humbles personnes. Nous nous joignîmes à cette petite famille pour faire connaissance. Je ne me souviens pas avec précision de la réaction de la maman, mais les choses se déroulèrent plutôt bien.

Elle avait pour nom Johanne V..., et sa soeur se prénommait Liette. Nous étions ravis de nous trouver avec ces jeunes filles, et irrémédiablement attirés par Johanne. Sa beauté nous subjuguait, littéralement, et chaque seconde en sa présence était un cadeau du ciel. Dans les jours qui suivirent, nous la retrouvâmes à quelques reprises au parc. Nous nous rendions aussi dans la cour de son école, à l'occasion, quand nous faisions l'école buissonnière. Nous chahutions alors jusqu'à ce que la directrice menace d'appeler la police. Je crois que Johanne appréciait ce côté mauvais garçon que nous affichions.

Aucun des membres de notre petit groupe ne sortit jamais avec Johanne, ni même ne fit l'effort de la séduire. Quand nous en parlions, nous nous extasions sur sa beauté, bien sûr, mais je pense que cette beauté, justement, refrénait nos ardeurs. Nous la croyions inatteignable, sans doute, inaccessible. Pour ma part, jamais je n'aurais osé l'aborder autrement que d'une façon amicale. Je n'en ai même jamais été amoureux. Elle appartenait à un autre univers. Trop belle pour moi, pourrais-je dire. Inutile d'en rêver.

Pourtant, un an ou deux plus tard, elle sortit avec un garçon que je connaissais vaguement, Alain. Il était bien sympathique, mais je ne le trouvais pas très séduisant (mon appréciation était sans doute influencée par mon dépit). Je me dis alors que j'aurais dû tenter ma chance auprès de la belle Johanne : si lui était parvenu à la conquérir, pourquoi aurais-je failli dans cette entreprise?

La dernière fois que j'ai vu Johanne, je me trouvais Chez Dieu, dans le Vieux-Montréal. Elle se disputait avec Alain. Le pauvre garçon semblait désemparé. Elle sortit précipitamment du bar. Plus tard, ce soir-là, je vis Alain qui arpentait les trottoirs de la place Jacques-Cartier, à la recherche de sa douce. Il m'apparut alors qu'il ne devait pas être de tout repos de fréquenter «la plus belle fille du monde».

*

Les études nourrissent notre esprit, évidemment, et elles nous permettent aussi de rencontrer des gens bien particuliers. J'ai parfois été étonné par l'intelligence de confrères et de consoeurs qui parvenaient, sans difficulté apparente, à saisir la complexité d'une question, à synthétiser un problème, à énoncer une solution. Et, indubitablement, les gens intelligents nous attirent. Surtout si, de surcroît, ils ont fière allure.

Nous amorcions l'étude de la politique étrangère des États-Unis. La professeure, une Américaine, présentait son plan de cours. J'étais assis derrière une jeune femme que j'observais, intrigué. Elle posait de nombreuses questions, ce qui me laissa croire qu'elle possédait une grande connaissance des subtilités de la politique américaine. Elle m'impressionnait. Et elle m'impressionnait aussi par son physique. Était-elle belle? Je n'en sais trop rien! Mais elle retenait l'attention. Très maigre, presque fragile d'apparence, elle semblait pourtant énergique. Le rouge de sa bouche et le noir de ses cheveux tranchaient sur sa peau, d'une blancheur spectrale. Un bandeau retenait sa chevelure, et un collier de cuir serrait son cou. Elle portait un chemisier blanc qui laissait deviner une poitrine assez forte qui contrastait avec le reste de sa personne, menue. Oui, elle m'impressionnait, et je dirais même qu'elle m'attirait.

La professeure nous annonça qu'au cours de la session, nous irions à Burlington, au Vermont, rencontrer le maire de la place, seul maire socialiste des États-Unis, et visiter le département de science politique de l'université de l'État. Ce petit voyage devait être mémorable.

Le jour du voyage, un ami m'accompagnait, Gino. Et ma consoeur étudiante dont il est ici question, prénommée Danielle, participait évidemment à cette expédition. Le trajet jusqu'à Burlington se déroula sans anicroche. Les échanges restaient polis et courtois, nous tenions nos rôles d'universitaires avec sérieux. La situation allait cependant évoluer après la visite au maire. Jusqu'à ce jour, je n'avais entretenu aucun rapport particulier avec Danielle. Pour des raisons qui m'échappent, elle se colla alors à moi et Gino et nous suivit dans tous nos déplacements, à l'université d'abord, puis dans les rues marchandes de la ville. La chose pourrait sembler banale, mais elle ne l'était pas. Je découvris chez Danielle, en ces quelques heures, une personnalité que je ne soupçonnais absolument pas. Elle était délirante. Nous trouvions-nous séparés quelques instants qu'elle hurlait nos noms pour ne pas nous perdre. Elle s'exclamait bruyamment devant tout ce qui retenait son regard, passait des réflexions d'une voix si forte que les passants se retournaient. Les autres étudiants riaient sous cape, moi et Gino nous trouvions bien embarrassés. La journée se termina dans un bar qui offrait le verre de bière à vingt-cinq sous durant le «happy hour». Le retour vers Montréal se passa dans une allégresse qui n'avait rien de studieuse. Et Danielle compta pour beaucoup dans les rires qui animaient le groupe. À partir de ce moment, de façon bien peu charitable, moi et Gino ne parlâmes plus jamais de Danielle qu'en la nommant «la connasse».

Jamais je n'avais si mal jugé une personne. Je découvrais en Danielle une femme totalement différente de la femme que j'imaginais. Elle était d'une réjouissante vulgarité, ne dédaignait pas le rire gras, et pouvait tenir des propos tout à fait sidérants, sans pudeur aucune, sur les aléas de sa vie sexuelle. Mais, par-dessus tout, elle était une copine qu'il faisait bon fréquenter. Car elle devint mon amie. Gino m'incitait subtilement à passer aux choses sérieuses, mais j'étais un mari fidèle. Sans doute l'ai-je désirée, mais je n'ai jamais cherché à en faire ma maîtresse. Et elle-même n'a jamais laissé croire que nos relations pourraient dépasser le stade de la simple amitié. C'était bien ainsi.

Danielle resta mon amie jusqu'à ce qu'elle termine son baccalauréat. Elle quitta alors l'université, et je ne la revis plus. Je pense qu'elle aimait bien jouer à «la connasse», mais elle n'était certainement pas aussi supide que nous le prétendions. Je vois plutôt en elle une agréable compagne d'études, une fille délurée qui aimait avoir du plaisir. Je peux même dire que c'est une personne que je regrette aujourd'hui et que je reverrais avec joie. J'espère que la vie lui a été favorable.

*

Quand nous étions jeunes adolescents, ma soeur J. avait une amie, Manon G., qui, à mes yeux, n'offrait aucun intérêt. Elle était gentille, un brin naïve, et se faisait surtout remarquer par une propension à proférer des énormités souvent hilarantes, comme lorsque nous avons pris le métro pour la première fois, un ou deux jours après son inauguration : elle affirmait que nous devions embarquer dans le wagon de tête pour arriver plus tôt à destination.

Manon, en sa qualité d'amie de ma soeur, ne pouvait attirer mon attention. C'est qu'à cet âge, les frontières sont, la plupart du temps, plutôt claires entre la bande à l'un et la bande à l'autre. De plus, je n'avais jamais observé cette jeune fille de façon intéressée : elle n'appartenait pas à mon univers. J'aurais donc été bien en peine de dire si elle était jolie ou non. Je ne la regardais pas.

Ce n'est que des années plus tard que j'allais m'apercevoir que cette fille était, en fait, une fort jolie femme. Et le mot «jolie» n'est peut-être pas approprié. C'est un vieux fond de pudeur qui me le fait utiliser. Manon était plutôt une belle femme, et même un canon.

Par un concours de circonstances dont je garde un souvenir imprécis, je me suis, un soir, retrouvé chez elle. Je crois qu'elle habitait près de la Cité de la Santé, à Laval. Elle était mariée et maman. Je connaissais son mari, qui avait été un ami de ma soeur et qui m'avait enseigné au moment où il entamait sa carrière de professeur. Assis avec eux au salon, j'avais de la difficulté à détacher mon regard de Manon. La conversation était agréable, il faisait bon se remémorer des événements du passé, mais il était surtout bon de contempler mon hôtesse. Elle était vraiment superbe. Ce serait faire preuve de machisme que d'insister sur ses attributs physiques, mais je dois quand même dire qu'elle était divinement roulée. Et son visage rousselé et souriant ne pouvait que séduire. Elle avait cette beauté naturelle qui suscite, volontairement ou non, le désir. Et sa petite voix légèrement éraillée ajoutait à son charme, à sa sensualité. Elle n'avait rien perdu de son innocence, ce qui la rendait encore plus désirable.

Je suis parti en me demandant si son mari avait conscience de l'extraordinaire pouvoir de séduction de son épouse. En avait-elle elle-même conscience?

***

5 commentaires:

Vagabonde a dit...

Deux des plus belles personnes que j'ai connues sont une toute petite fille et une dame très âgée. Je n'ai jamais su le nom de la première et j'ai oublié celui de la deuxième. Mais je les vois encore comme si le temps s'était arrêté sur leurs visages, comme s'il n'y avait pas vingt-cinq ans de passé...

L'enfant était une petite fille posée sur la dernière marche de l'escalier du logement que j'habitais rue Parthenais. Silencieuse, belle et si sérieuse malgré son jeune âge (4 ou 5 ans). Le teint mat, couleur caramel écossais. Des yeux miel, en amande, qui vous regardaient droit, sans ciller. De longues tresses entouraient son visage d'une harmonie parfaite, aux traits délicats, du nez droit aux lèvres finement ourlées. Je l'ai trouvée deux fois assise là. Elle s'est laissée photographier sans sourire.

La vieille dame était Française. Menue et droite, elle portait aussi la tresse très blanche et très longue dans son dos. Le visage en coeur, rieur, des yeux pétillants, intelligents. Les milliers de rides qui le plissaient ne faisaient qu'ajouter à son charme. La peau hâlée et si fine était douce sous le baiser. Et ce qui ne gâtait rien : sa soupe à l'oseille était à se damner.

Marie Eve a dit...

Bonjour,

Quelle surprise, c'est moi: Johanne V!

Ce serait trop beau hein?

Cyrano a dit...

@ Lilas : vous êtes trop jeune pour être cette Johanne V. Mais j'aimerais bien la revoir, pour confronter mon souvenir à la réalité.

Anonyme a dit...

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