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mercredi, mars 28, 2007

Structuralisme de GREIMAS 1

COMMENT ALGIRDAS GREIMAS KIDNAPPA UN EMINENT FOLKLORISTE SOVIETIQUE ET CE QUI S'ENSUIVIT
Les travaux de Greimas, basés sur la sémantique structurale (la sémantique est la branche de la linguistique qui s'occupe de la signification), ont dominé les études du récit pendant trente ans et le modèle de Greimas est toujours enseigné dans les universités et sert de temps en temps à fonder un article, une thèse ou un ouvrage. Greimas a mis son système au point progressivement, dans Sémantique structurale : recherche de méthode, Larousse, 1966, Du Sens I, Seuil, 1970, Du sens II : essais sémiotiques, Seuil, 1983. Comme on pouvait s'y attendre, le modèle de Greimas, extrêmement élaboré et qui repose sur un formalisme impressionnant, n'a jamais fait l'ombre d'une vérification expérimentale ; on s'est contenté d'affirmer que telle œuvre répondait parfaitement au modèle greimasien et on s'est rabattu subsidiairement sur l'idée que si le modèle greimasien n'était peut être pas exactement universel, du moins il s'appliquait merveilleusement à des formes narratives inférieures et rétrogrades comme la bande dessinée. (Nous avons montré que le modèle de Greimas ne s'applique pas plus à la littérature dessinée qu'à n'importe quelle autre littérature.) De plus, le modèle souffre de nombreuses carences et contradictions et son succès n'est explicable en dernière analyse que par un effet de snobisme des universitaires, qui l'ont invoqué et l'invoquent encore parce qu'il présente le degré d'abstraction et de technicité qui leur paraît conforme à une démarche scientifique.
L'un des aspects les plus critiquables du modèle est l'emprunt fait par Greimas à un honnête folkloriste soviétique qui s'appelait Vladimir Propp.
Quelques mots d'explication sont nécessaires ici.
Comme tous les structuralistes, Greimas part de la théorie que le récit fonctionne selon les mêmes principes que la langue. Il cherche donc des structures syntaxiques du récit, similaire aux structures de la langue. Greimas distingue en particulier trois couples d'actants (les actants sont des fonctions syntaxiques et ne doivent pas être confondus avec les personnages) : sujet-objet, destinateur-destinataire, adjuvant-opposant, qui correspondent à trois fonctions grammaticales : sujet-objet, complément d'attribution, complément circonstanciel.
En second lieu, Greimas est, comme tous ses collègues, fasciné par l'idée des structures cachées, que le sémioticien est seul à pouvoir découvrir grâce à son puissant outil d'analyse. Il existerait donc une structure immanente (ou « structure sémantique profonde ») du récit, sous-jacente à un « niveau apparent » de la narration, et on passerait de l'un à l'autre par une série d'étapes ou « paliers » constituant le parcours génératif : la syntaxe fondamentale, la syntaxe sémio-narrative, la syntaxe discursive. Greimas applique aux structures narratives cachées un modèle hérité d'Aristote, le carré sémiotique. Il suppose que la syntaxe narrative est basée sur les transformations des quatre éléments du carré sémiotique. Naturellement, cette idée est un simple postulat. Personne n'a jamais démontré que Cendrillon repose sur le carré sémiotique « être vs. paraître » (contraires), « non-être vs. non-paraître » (subcontraires).
Greimas se base sur Vladimir Propp (Morphologie du conte, Seuil, Collection Points, 1970 [1928]) deux fois : 1. pour établir son modèle actantiel, à partir du modèle actantiel à sept personnages de Propp, et 2. pour établir son modèle fonctionnel (décrivant la structure du récit lui-même). C'est ce modèle fonctionnel greimasien inspiré de Propp que nous critiquerons dans ces feuillets (ce qui ne signifie pas que le modèle actantiel de Greimas ait plus de sens !).
Propp a montré que tous les contes merveilleux russes reposent sur la combinaison de 31 fonctions (un exemple de fonction est : « 23. Le héros arrive incognito chez lui ou dans une autre contrée »), qui peuvent être présentes ou absentes dans un conte donné, et qui peuvent éventuellement se répéter, mais qui, en tous cas, se succèdent toujours dans le même ordre. Cette étude représente un incontestable triomphe de la science soviétique, parce que Propp a effectivement décrit une morphologie du conte merveilleux russe (la morphologie est l'étude des formes et, plus généralement, l'étude des lois qui régissent une structure).
Greimas reprend cette rigoureuse étude empirique, réduit les fonctions à des oppositions binaires, les trafique de son mieux (les 31 fonctions dégagées par Vladimir Propp, qui font le canevas du conte merveilleux russe, sont ainsi réduites à 20, Greimas ayant « couplé » autant de fonctions que possible, dégageant de la sorte des « catégories sémiques ») et arrive à l'idée que le récit merveilleux russe (et, selon lui, tous les récits de l'humanité depuis l'origine des temps !) suivent les mêmes étapes, qu'il a réordonnées en trois épreuves qu'il qualifie respectivement de qualifiante, décisive et glorifiante (Sémantique structurale, p. 192-203).
L'emprunt de Greimas à Propp motive deux séries de critiques. Il révèle pour commencer le caractère purement spéculatif de la méthode. Greimas part d'un matériau déjà classé par le folkloriste soviétique, et non d'un corpus de contes merveilleux russes. (Ailleurs, Greimas part d'une thèse sur l'univers de Bernanos, mais il ne se base pas sur l'œuvre romanesque de Bernanos elle-même). Ce matériau est ensuite combiné de façon purement logique, sans aucune considération pour le référent.
Un exemple éclairera le vice méthodologique. Greimas couple la fonction 8. « l'agresseur nuit à un membre de la famille » et la fonction 8a. « il manque quelque chose à l'un des membres de la famille ». Ce couple « traîtrise vs. manque » est présenté comme le résultat d'un crescendo de privations (après l'extorsion d'un renseignement, un acte de tromperie ; après l'acte de tromperie, une traîtrise, sous la forme d'un vol ou d'un rapt), et Greimas fait correspondre, en bout de course, à toutes ces privations des restitutions symétriques : à la traîtrise répondra la punition du traître et au manque répondra la restitution du Bien à la communauté et la récompense du héros lors du mariage.
Une telle description, cohérente dans l'absolu, perd toute pertinence si on l'examine in concreto. Vladimir Propp note que la fonction 8. « traîtrise » est tout simplement le moment où l'intrigue se noue. Il n'y a aucune raison de la considérer comme appartenant à une sorte de préface, ce que fait Greimas. Quant à la démonstration sur la « série redondante de privations », elle s'écroule quand on considère que la traîtrise ne consiste pas toujours en un vol ou un rapt ; l'agresseur peut tout aussi bien « tourmenter quelqu'un chaque nuit », ou « déclarer la guerre ».

1 Comments:

Blogger Unknown said...

Enfin une mise au point sur cette épidémie intello-structuro-vaniteuse qui continue d'envahir les manuels scolaires et qui donne à tant de nos élèves l'impression de penser. Merci pour cette lecture!

8:54 PM  

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