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Elles se font des plaisirs toutes seules


SEXUALITE
Elles se font des plaisirs toutes seules
Sexualité, Le nouveau Rapport Hite montre que pour les femmes, la masturbation est le meilleur moyen d’atteindre l’orgasme. La pénétration par un homme, elle, ne marche qu’une fois sur trois…
Philippe Barraud

A lire le nouveau Rapport Hite sur la sexualité féminine, on se dit que les 20 millions d’exemplaires du premier rapport, publié en 1976, n’ont pas suffi, même en Occident. La sexualité des femmes est toujours aussi mal connue et mal perçue - des hommes mais aussi des femmes elles-mêmes - et toujours victime de clichés culpabilisants dont Shere Hite désigne les responsables: Darwin, Freud, la société patriarcale, Hollywood et l’industrie du cinéma pornographique.
Ce nouveau rapport actualise le précédent, qui s’intéressait aux femmes américaines, et le complète par une enquête chez les femmes du Royaume-Uni, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. On y apprend énormément de choses, et ce n’est pas le moindre de ses intérêts. On est même saisi d’un vertige, tant ce que l’on croit savoir, et que l’on tient pour vrai, est parfois très éloigné de la réalité. Preuve, en tout cas, que la chambre à coucher est un lieu d’échanges où l’essentiel n’est pas dit. Constitué de milliers de témoignages, l’ouvrage est à la fois émouvant et passionnant, dans la mesure où des femmes de tous âges et de toutes conditions parlent de leur sexualité et de leur corps avec une liberté absolue.

L’homme facultatif
L’une des conclusions les plus intrigantes du rapport, c’est que l’homme intervient pour peu de chose dans l’orgasme féminin, sur le plan «technique» du moins: au plan affectif et fantasmatique, le mâle garde toute son importance! En particulier, le rapport sexuel classique, avec pénétration, ne produit que rarement un orgasme, alors que le cinéma, la littérature de gare, les magazines féminins et une tradition séculaire nous enfoncent dans la tête que cela doit être la norme: l’homme paraît, la femme se pâme ou hurle, bien sûr! En réalité, selon l’enquête de Shere Hite, seules 30% des femmes jouissent régulièrement lors d’un rapport sexuel. «Pour plus de 70% des femmes, le rapport sexuel - le pénis pénétrant dans le vagin - ne conduit pas régulièrement à l’orgasme. Ce que l’on croyait être un problème individuel n’est en réalité ni inhabituel, ni un problème.» Constat frustrant ou rassurant pour l’homme, c’est selon: le fait est qu’à la lumière de ces chiffres, la question assommante de la taille de son engin devient dérisoire…

Freud au bûcher
Plus sérieusement, on réalise que des millions de femmes se sont mortifiées parce qu’elles ne jouissaient pas pendant le coït, persuadées qu’elles n’étaient pas «normales»; des millions d’autres ont suivi des psychothérapies pour se «guérir» de leur «immaturité», alors que leur vécu était tout simplement naturel! Aujourd’hui encore, s’insurge l’auteur, des femmes développent des névroses par la faute de thérapeutes qui s’accrochent aux modèles obsolètes de Freud, et s’obstinent à les soigner pour les rendre plus conformes a l’archétype social établi.
Shere Hite tente de déconstruire la glorification sociale de l’acte sexuel classique et de l’orgasme «obligé» qui lui est lié. Selon elle, il repose sur trois piliers: un modèle biologiste, qui veut que les humains ayant été dotés d’une sexualité, c’est pour se reproduire; or, il n’y a que le coït pour y arriver. Mais, soutient l’auteur, personne n’a jamais pu prouver qu’une femme qui jouit est plus fertile que celle qui ne jouit pas. Le deuxième pilier, c’est l’organisation patriarcale de la société, qui impose cette forme de la sexualité pour affirmer le contrôle par l’homme sur la sexualité de la femme, toute autre forme étant réputée psychologiquement anormale ou malsaine. Le troisième pilier, c’est le modèle freudien de la sexualité féminine, simpliste et scientifiquement dépassé, influencé il est vrai par la méconnaissance qu’avait Freud de la biologie de la femme. «J’aimerais qu’on nous redonne tout le temps et l’énergie que nous avons gaspillés à nous culpabiliser, à nous demander pourquoi nous n’avions pas d’orgasme pendant les rapports sexuels. Et tout l’argent que nous avons dépensé en courant chez le psychiatre, à la recherche de la répression terrible et mystérieuse qui nous empêchait de suivre notre destinée vaginale.»

G est mort, vive le point C!
Face à ce constat, comment réagissent les femmes? «Couche-toi et pense à l’Angleterre», comme on disait autrefois aux jeunes filles? Plus prosaïquement, nombre de femmes essaient de ne pas jeter de l’huile sur le feu: comme l’homme s’attend à un effet quasi automatique de la pénétration et de ses mouvements, et qu’il vaut mieux ne pas le décevoir, la femme simule. Selon l’étude, c’est le cas de plus de la moitié des femmes, toujours ou occasionnellement. Etalés sur des pages et des pages, les témoignages sont éclairants: «J’ai simulé l’orgasme pendant trente ans, dit une femme, parce que j’ai besoin d’approbation - je manque de confiance en moi - et parce que je ne veux pas blesser mon mari, qui est fragile lui aussi.» Une autre dit tout de go: «Oui, car je pensais que l’ego masculin était plus important que le mien.» Une autre encore: «C’est comme me demander si le ciel est bleu…» Celle-ci enfin, qui nous ramène à la thèse fondamentale de Shere Hite: «J’ai longtemps simulé l’orgasme, jusqu’à ce que je découvre mon clitoris. J’avais toujours pensé que le rapport sexuel était la façon normale de faire, et que c’était moi qui avais un défaut. Dès que j’ai eu découvert la masturbation, j’ai tout compris.»

Les chiffres de Shere Hite sont parlants: sur les femmes qui disent se masturber (82%), 95% parviennent facilement et rapidement à un ou plusieurs orgasmes, à n’importe quel moment, et sans pénétration vaginale, par un doigt ou un objet (dûment répertoriés dans l’étude d’ailleurs, précision américaine oblige). Ce dernier détail permet à Shere Hite d’enterrer pour de bon le mythe du point G, inventé dans les années 80, cet endroit de la paroi vaginale dont le contact permettrait de «déclencher» l’orgasme. S’il existait, note-t-elle non sans pertinence, les femmes ne manqueraient pas de le stimuler. C’est donc le point C (C comme clitoris) qui compte, affirme Shere Hite, et pas un hypothétique point G. Il faut célébrer la masturbation, dit-elle, «car c’est une source d’orgasme si facile pour les femmes». Et surtout, il faut faire savoir ce que les femmes vivent vraiment, ce qu’elles aiment vraiment: «Ce n’est pas la sexualité féminine qui a un problème, c’est la société qui a un problème dans sa définition du sexe, et dans le rôle de subordonnée que cette définition confère à la femme.»

Une autre découverte intéressante des enquêtes au long cours de Shere Hite, c’est la position des jambes de la femme en quête d’orgasme. Les clichés courants imaginent que la femme ne peut jouir que les jambes grandes ouvertes. Or, un bon tiers d’entre elles jouissent le mieux les jambes serrées, cette position, liée à des mouvements alternatifs du bassin, produisant une stimulation des organes internes. Cette explication est d’autant plus cohérente que ces organes font l’objet d’une irrigation sanguine comparable à celle de l’homme. D’ailleurs, la taille des organes génitaux féminins en pleine stimulation est comparable à celle des organes masculins.

Envies de meurtre
Si les femmes râlent pendant l’amour, ce n’est pas toujours de plaisir, on l’a vu. A côté de celles qui simulent, ou qui prennent leur mal en patience, il y a celles qui n’admettent pas le schéma caricatural mais classique: l’homme jouit, puis se retourne et s’endort du sommeil du juste, alors qu’elles étaient au sommet de l’excitation. A lire les témoignages, presque tous très violents, il s’agit s’une expérience terriblement frustrante: «C’est le sommet de la frustration. J’ai l’impression que je pourrais commettre un meurtre.» «Je me sens frustrée, fâchée, effrayée, humiliée.»

Souvent d’ailleurs, les hommes comprennent mal cette rage - et ignorent qu’ils reviennent de loin! Là encore intervient le poids de la tradition. Personne ne songerait à mettre en cause la légitimité de l’orgasme de l’homme: il reste la condition sine qua non de la perpétuation de l’espèce, il a un but impératif, l’éjaculation. Mais celui de la femme? A quoi sert-il au juste? Ce qui se passe en elle à ce moment-là n’est pas décisif du point de vue de la reproduction. De là à juger qu’il est facultatif, il n’y a qu’un pas. Un pas que souvent les hommes s’empressent de franchir. Satisfait, la tension retombée, le mâle n’a plus la tête à «ça», et invoquera au pire la période réfractaire qui, malgré la meilleure volonté du monde, impose au sexe de la plupart des hommes un moment de repos. Faux-fuyant, évidemment, sachant que ce n’est pas la pénétration qui conduit le mieux à l’orgasme. En réalité, c’est l’homme qui décide quand c’est fini. Certes, suggère une interlocutrice malicieuse de l’étude, «c’est fini lorsque l’homme éjacule, à moins que la femme ait la chance d’avoir plus d’un homme dans son lit.»

Heureusement, une part non négligeable des femmes (44%) qui témoignent éprouvent régulièrement un orgasme par stimulation clitoridienne de la part de leur partenaire. Pour Shere Hite, il y a loin de ce chiffre au «taux de réussite» atteint par la masturbation (95%). C’est, explique-t-elle, que souvent les hommes considèrent cela comme un simple préliminaire, non un moyen délibéré de provoquer un orgasme, et l’abrègent donc rapidement. C’est aussi que les femmes éprouvent une certaine gêne à avouer leur besoin de stimulation clitoridienne. Mais c’est surtout que les hommes ne savent pas très bien comment ça marche: seuls les partenaires réguliers paraissent avoir quelques lumières. Encore que 64% des Anglaises estiment que l’homme de leur vie n’est pas au courant, et qu’il est insensible à leurs besoins. En l’an 2000, et après trente ans de révolution sexuelle, cela fait beaucoup! «Les hommes ne sont pas informés, dit une femme. Ils doivent tous avoir lu le même livre. Bien sûr, la passivité des femmes contribue à leur ignorance.»

Au reste, les femmes elles-mêmes ne sont pas toujours très au courant. Elles ont avec leurs organes sexuels un rapport pour le moins embrouillé - surtout les Américaines. A la question: «Votre vulve est-elle belle?», 49% des Anglaises disent trouver leur sexe beau, chiffre qui tombe à 30% chez les Américaines, dont autant le trouvent laid («ugly»). Beaucoup ont de la peine à en assumer le côté «animal» – la pilosité, l’odeur.

La ménopause, un sommet
Une défiance qui s’estompe avec l’âge puisque, toujours selon l’étude, la sexualité des femmes se bonifie avec le temps: autant le désir sexuel que l’intensité des sensations s’accroissent. Les femmes interrogées témoignent largement d’une libération, et donc d’un plus grand plaisir: «Je jouis davantage du sexe durant ma quarantaine que durant ma trentaine; et j’ai eu plus de plaisir pendant ma trentaine qu’avant. Il y a une combinaison libératrice d’expérience, de connaissance de soi, d’insouciance par rapport à une grossesse.»

Mais de quoi rêvent les femmes, au-delà du désir d’avoir des partenaires un peu mieux informés, un peu moins égoïstes? Elles rêvent de relations différentes, d’amour partagé, de sentiments, de marques d’affections concrètes. Elles rêvent d’être serrées dans des bras, de toucher et d’être touchées - sans connotation sexuelle, juste de la tendresse et un peu de chaleur. Mais les caresses ont été bannies par les codes judéo-chrétiens, le contact physique est inévitablement connoté - et les choses ne s’arrangent pas lorsqu’un simple geste affectueux est interprété comme un harcèlement sexuel…

Pour Shere Hite, les femmes ont fait de grand progrès en vingt ans. Elles ont conquis le droit de choisir la vie qu’elles veulent mener, une vie qui réponde à leurs propres besoins. Dans le domaine sexuel aussi, l’auteur plaide pour un droit à l’orgasme. Le chapitre s’intitule prosaïquement: «Do it yourself». «Pourquoi ne devrions-nous pas nous toucher nous-mêmes? Pourquoi ne devrions-nous pas faire tout ce qu’il faut pour qu’un orgasme survienne? Faire l’amour avec un homme peut être magnifique, mais pourquoi faut-il que ce soit l’homme qui “donne” l’orgasme à la femme? […] Le tabou qui vous défend de vous toucher dit essentiellement que vous ne devriez pas vous servir de votre corps pour votre propre plaisir, que votre corps ne vous appartient pas pour en jouir. Mais nous avons des droits sur notre corps. Diriger votre propre stimulation symbolise votre maîtrise sur votre corps, et c’est un pas très important vers la liberté.»

Philippe Barraud
Le 28 juin 2000

«The New Hite Report». De Shere Hite. Hamlyn, Londres, 667p.


L'article "Elles se font plaisir toutes seules" a été publié en Suisse sur le site Webdo le site du journal "L'hebdo".
Le lien d'origine http://www.webdo.ch/hebdo/hebdo_2000/hebdo_26/sex1_26.html
Le lien de cette publication http://www.webdo.ch/index.html